PAGE SÈCHE et ENCRE SYMPATHIQUE

Balourd 10, que ne rebute pas l'emploi de l'encre sympathique, n'entretient pas pour autant la phobie de la page blanche. (Une encre sympathique devient invisible en séch

vendredi 30 décembre 2022

Année julienne : neuf vies

Nouvelle extraite de mon recueil Une année julienne suivi de Perséphone


ISBN 978-2-9821444-0-8 (PDF)

Dépôt légal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2023

Mon recueil Une année julienne suivi de Perséphone est paru en mai dernier en version numérique (pdf). Il est disponible auprès de l’auteur (moi) sur demande et de BAnQ (Bibliothèque et Archives nationales du Québec) au bout de ce lien. Relisez les autres billets consacrés au recueil pour en savoir plus et ou pour savourer d'autres extraits (lien).







Le recueil déposé à CopyrightDepot.com et à la SARTEC :
© Henri Lessard, CopyrightDepot.com no 00072068
© Copyright Henri Lessard, manuscrit déposé à la SARTEC le 21 mai 2021, certificat no 34490.

* * *

Neuf vies


Tout un chacun peut trouver un réconfort quotidien à se dire : « Demain, je serai encore en vie ». On ne se trompera qu’une seule fois.
H.L

La mort est un mal. Les dieux en ont jugé ainsi : sinon, ils seraient mortels.
Sappho, poétesse grecque, VIIe-VIe s. av. J.-C.


Daussi loin que remontent mes souvenirs, j’ai toujours su que je disposais de neuf vies, comme un chat – ou plutôt comme une chatte. Je ne m’en suis jamais vanté. D’abord, on ne m’aurait pas crue et ensuite, des petits malins se seraient empressés de mettre mes prétentions à l’épreuve et la neuvaine au complet y serait vite passée. En réalité, c’est que j’étais un peu embêtée par cette générosité sans précédent du destin. On s’imagine d’abord jouir d’une chance extraordinaire, mais les complications apparaissent dès qu’on y réfléchit. À quel rythme épuiser mes vies de rechange, comment les dépenser à bon escient ? Patienter jusqu’à 99 ans avant de commencer à piger dans mon capital de résurrections ne ferait qu’étirer ma sénescence ; exhaler mon dernier souffle plusieurs fois dans ma jeunesse ou durant ma maturité ne m’assurerait au total aucune longévité exceptionnelle.

Les humains n’expérimentent la mort qu’une fois dans leur existence. L’anticipation de l’heure fatale les remplit d’angoisse et, dans les cas extrêmes, gâche littéralement leurs jours et leurs heures. Moi, je bénéficierai du privilège de pouvoir répéter mon départ ; je ne m’éteindrai pas en novice, en ignorante, je serai une pro du trépas, une blasée qui rendra son âme pliée et repassée, indemne des affres et froissures des derniers instants :

— Craindre l’agonie, moi ? Mais j’ai l’habitude, voyons, je suis morte tellement de fois déjà, lisez donc mon curriculum vitae !

C’était du moins ainsi que je voyais les choses au début.

Il y a bien la petite mort, l’orgasme, mais c’est autre chose et on ne perd aucun capital de vie à réitérer cette extinction inaboutie.

Parfois, j’avais envie d’aller au-devant des événements et de tester mon abonnement non reconductible à l’immortalité. Un frisson me parcourait quand je prêtais l’oreille à l’appel romantique de l’au-delà. Cependant, j’hésitais à risquer une vie, et surtout à risquer ma vie – si je me trompais et que je n’en avais qu’une, comme tout le monde ?

Le résultat de ces tergiversations fut que j’atteignis ma dix-septième année avec un stock de vies de secours intact.

Il y eut au printemps de cette année-là une fusillade au collège. D’abord résonnèrent dans mon dos des pop, pop, pop que j’aurais été en peine de reconnaître pour ce qu’ils étaient, les rafales d’une arme automatique. Puis, des cris dans les couloirs ; Martine, l’amie que j’accompagnais à son casier, me toucha le bras et lança par-dessus mon épaule un regard arrondi avant que son œil ne bascule ; une tache noire était apparue sur son pull over.

Ensuite, je ne sais plus puisque j’ai été abattue à mon tour.

On ne conserve pas en mémoire les secondes qui précèdent une perte de conscience. Personne ne se souvient non plus, je l’appris ce jour-là, de celles qui précèdent la perte de conscience finale, la mort. Notre autobiographie mémorielle s’arrête donc au mieux un instant avant notre fin biologique. La source du Léthé coule dans notre monde, nous en buvons l’eau de notre vivant et non après notre trépas, contrairement à ce que prétendent les philosophes.

Mais, entre nous, ce que disent les philosophes…

Martine n’aurait donc rien eu à raconter sur sa propre mort. Ayant été descendue une ou deux secondes après elle, je ne pouvais en dire grand-chose de plus, le moment de sa mort ayant sombré dans l’oubli où s’engouffra la mienne propre.

On crut que j’avais eu la présence d’esprit de me plaquer au sol et de demeurer immobile, de faire la morte, et que le sang qui imbibait ma robe et dont la flaque s’élargissait sur le terrazzo était celui de Martine. Comment leur expliquer leur erreur ? Il aurait suffi pour se rendre compte de la vérité d’analyser la flaque de sang où se confondaient le mien et celui de Martine. Mais on ne s’arrêta pas à ces détails, l’évidence était là, une morte par balle et une rescapée, indemne, côte à côte, et tout fut nettoyé sans distinction, d’un coup de vadrouille.

La vérité aurait été trop incroyable à raconter.

Si Martine s’était rangée de côté pour se faire un écran de mon corps – réflexe de conservation que je lui aurais pardonné –, j’aurais volontiers encaissé un chargeur au complet à sa place. Mais les choses s’étaient déroulées trop vite et elle n’avait pas eu le temps de se rendre compte de ce qui survenait.

Elle est morte, moi aussi ; je vis encore, elle non.

Trois étés plus tard, je commis une maladresse au volant sur une autoroute ensoleillé ; le dernier regard de Martine m’était apparu à travers le pare-brise et ma voiture fit une embardée. Les images de notre ultime échange muet près des casiers ne cessaient de me hanter. Martine avait eu, aux premiers échos de la fusillade, une expression de surprise, une imperceptible circon-flexion des sourcils – c’est à ce moment qu’elle m’avait frôlé le bras –, une sorte de « Oh ? » atone, puis son regard s’était absenté, comme s’il était possible de rengainer son être, de le laisser s’éteindre sans plus de manières dans le noir, derrière les pupilles. Je butais sans cesse sur cette petite syllabe qu’elle avait fait mine d’émettre, syllabe de surprise (« Oh ! ») ou d’affaissement (« … oh… »). Parfois, je me persuadais qu’il n’y avait eu dans cette exclamation jamais prononcée qu’une modulation trop subtile pour être captée sur le vif ; il fallait un effort de concentration pour que la mémoire saisisse et recadre cette fugitive image qui correspondait sans doute à l’instant où une balle s’était frayé un chemin derrière son sternum, causant des dégâts irréparables dans les pompes, tuyaux et soufflets de son intérieur. Mais peut-être que tout cela était le fruit de mon imagination.

Survint une épidémie qui fit de nombreuses victimes à travers le monde. Aux soins intensifs où je fus amenée, mes signes vitaux s’éteignirent deux fois en l’espace d’un quart d’heure. J’appris ainsi que, dans les cas graves, je pouvais trépasser, ressusciter, retrépasser aussitôt et ressusciter derechef. On me considéra comme une miraculée.

C’était bien le cas, et deux fois plutôt qu’une.

Mourir alitée est plus pénible que mourir d’une balle dans un ventricule ou des conséquences d’une distraction au volant ; souffrir une longue agonie, je l’avais constaté, n’apporte pas plus de connaissance qu’un départ subit. Martine serait sans doute d’accord avec moi sur ce point. Voilà toute l’expertise que m’ont valu quatre décès. Nul savoir, nulle sagesse ne se trouvent donc au bout du chemin ?

J’ai déjà brûlé ou éteint quatre vies et je n’ai pas 25 ans. Je ne battrai aucun record de longévité, disposer de neuf vies équivaut à n’en avoir qu’une. Le fil du destin est d’un seul tenant, pour moi comme pour vous. Neuf vies, encore cinq résurrections, un seul récit, une seule héroïne…

J’aurais volontiers donné une des vies qui me restaient, ou même deux ou davantage, pour le plaisir de savoir Martine toujours vivante, près de moi ou ailleurs dans le monde. Mais voilà, ni la vie ni la mort ne se partagent.

Je me console en me disant que notre sang répandu sur le plancher s’était confondu en une seule nappe rouge. Nous sommes tombées ensemble et, d’une certaine façon, jamais cette coïncidence où la fatalité nous a réunies ne pourra être abolie.

Quant à la balle qui m’avait abattue, on ne l’a jamais retrouvée. Il faut croire qu’elle s’est escamotée avec ma résurrection. Autrement, si aucun projectile ne m’a jamais touchée, cette histoire tout entière devient une affabulation insensée..

jeudi 29 décembre 2022

En bout de ligne, la fin


Les premières lignes (sic) de ce qui allait devenir Ligne de grains datent du 29 décembre 2008, il y a douze ans. (Le 2007 imprimé sur certaines épreuves du roman doit être une erreur qui provient de la réutilisation d'un ancien document pour construire le fichier.) L'obligation d'entreprendre quelque chose m'était apparu en ces jours lointains comme une impérieuse nécessité. Le vide entre Noël et le nouvel an peut être fécond de résolutions qui engagent l'avenir. Si celle de les tenir figure en bonne place parmi toutes, évidemment.

Des manuscrits plus ou moins achevés traînaient dans mes tiroirs, des nouvelles, des romans avortés. (Les nouvelles, réunies sous le titre Grève des anges, ont paru en 2019 aux Éditions L'Interligne.)


Le bon titre s'est fait attendre : le manuscrit s'est brièvement intitulé Maison avant que je pense à Petite Mort puis à Post Meridiem (mêmes initiales). Mon choix s'est arrêté sur Ligne de grains et autres pépins. Les pépins allaient être balayés plus tard par le correcteur de ma maison d'édition qui n'aimait pas les titres à rallonge.

L'essentiel du roman était couché sur papier en 2009. J'en avais mis trop et il en manquait encore. J'y revenais par intermittence et par désespoir, ne pouvant me résoudre à l'abandonner, ne sachant comment boucler la dernière scène.

Le travail final, en 2016, a surtout consisté à couper dans les ramifications de l'intrigue. J'avais compris qu'il fallait canaliser l'inspiration et non pas la laisser s'irriguer à tous les ruisselets.

Il m'arrivait de paniquer en cours de relecture, « Ah, j'ai oublié un détail essentiel ! » pour découvrir quelques pages plus loin que le détail était là, à sa place et qu'il venait à son temps. Le mot « Fin », comme l'ultime pièce, scella l'unité du puzzle.

L'histoire n'était qu'un prétexte. Je voulais un regard sur les choses, la vie, les gens. Pour arriver à ce résultat, il me fallait demeurer à l'intérieur d'une tête d'emprunt, de préférence une caboche pas trop obtuse.

J'ai soumis le manuscrit à mon éditeur fin 2019. Il a été accepté en février 2020.

« Présenté comme la narration d’une jeune fille de dix-huit ans, caustique et délurée, le texte conquiert d’emblée. Le style est brillant, très drôle mais nourri également de réflexions intelligentes et originales sur la vie et la société. » (Rapport du comité de lecture.)


(Je n'ai aucun scrupule à publier les compliments qu'on m'adresse.)

Souligner l'anniversaire du manuscrit est une façon de mettre un point final à cette ligne égrenée sur douze ans.



Quatrième de couverture


Une « ligne de grains » est une bande d’orages à l’avant d’un front froid. Mais ça peut être toute autre chose.

Delphie, âgée de 18 ans, assiste au lancement du recueil Ligne de grains et tombe sous le charme de Pascale, la violoniste engagée pour l’occasion ; un écart de celle-ci hors de sa partition allume la suspicion d’une spectatrice. Tout se complique et se déglingue, les couples deviennent solubles et la folie tient la barre.

D’abord illustrateur, Henri Lessard s’est converti à la littérature. Il a publié le recueil de nouvelles Grève des anges à L’Interligne en 2019.


Grand merci aux Éditions L'Interligne et à leur équipe qui m'ont épaulé et qui ont accepté mes corrections jusqu'à la dernière minute.

samedi 10 décembre 2022

Tournoi des saisons


Gazon vs neige ; jusqu’ici, le gazon conserve sa large avance.

vendredi 9 décembre 2022

Regard en coin


Docteur, ma bibliothèque me surveille… C’est la pure vérité, docteur ! Docteur, vous me croyez ?… Docteur !?…

mercredi 7 décembre 2022

Parachute

Vue du ciel par parachute fermé.

L’esprit, comme un parachute, ne fonctionnerait qu’à la condition d’être ouvert.

C’est ce que l’on dit, c’est ce que j’entends.

Mais qui donc se balade avec un parachute ouvert ?

On les garde (les parachutes) bien repliés dans leur sac et on ne les ouvre (les sacs, et donc les parachutes) que dans des cas exceptionnels. Que feriez-vous d’un parachute sali et déchiré qui vous suivrait comme la traîne d’une mariée ivre ou égarée ?

Pliez votre cerveau avec grand soin avant de le ranger promptement. C’est ainsi qu’il ramassera le moins de poussière et qu’il conservera sa jolie teinte rose.

« Le cerveau est un organe inutile, je le déplore chaque jour ; que comprend-il de la réalité, ce circonvolu enfermé dans sa boîte crânienne, replié qu’il est comme une paire de chaussettes roulées au fond d’une bottine ? » (« Chronique des beaux jours », dans Grève des anges, p. 55.)

Henri Lessard, Grève des anges – Nouvelles. Les Éditions L’Interligne, Ottawa, coll. « Vertiges », 2019, 104 pages.