PAGE SÈCHE et ENCRE SYMPATHIQUE

Balourd 10, que ne rebute pas l'emploi de l'encre sympathique, n'entretient pas pour autant la phobie de la page blanche. (Une encre sympathique devient invisible en séch

mercredi 27 décembre 2017

Auxiliaires


En latin, langue mère du français, il n'y avait qu'un seul auxiliaire, le verbe être (esse). Est-ce que les discours sur « l' être et l' avoir » y étaient impossibles, contrairement à ce qui se passe en français qui possède l'auxiliaire avoir en plus ? Ne riez pas, ma question est sérieuse. (Cf les catégories d'Aristote et la langue grecque selon Benveniste.)

jeudi 21 décembre 2017

Prudence et discrétion (suite)


Certains rapprochements ne manquent pas d'intérêt (cf. billet du 16 décembre dernier).



samedi 16 décembre 2017

Prudence et discrétion


Je ne parle que lorsque je n'ai rien à dire, c'est moins compromettant.

lundi 20 novembre 2017

Ontologie majuscule


Un être vaut-il deux tu l'auras ?

« L'Être est. Le Non-Être n'est pas. »
Parménide d'Élée, VIe siècle - Ve siècle avant J.-C.

« Le latin [avait déjà pris pour auxiliaire] le verbe au sens le plus neutre et le plus susceptible de se vider de sa valeur : esse, être. »
Albert Dauzat, Le Génie de la Langue française, 1947, p. 129

Conclusion : le non-être peut être, mais avec minuscules.

Matière à réflexions supplémentaires
« Rien » et « Réel » viennent du mot latin res qui signifie « une chose ». « Rien » a fini par prendre en français le sens de... rien, zéro, nihil ; le « réel », la « réalité », est ce qui existe par soi-même.
Associer le Rien et la catégorie ontologique autosuffisante suprême, la Réalité, quel exploit !

mardi 17 octobre 2017

Dimanche en samedi (et quelques parenthèses)


Billet publié aussi dans le blogue Géo-Outaouais.

Gargouille, bureau de la Gilmour Lumber Co. (1892), parc Jacques-Cartier, Gatineau (Québec). Photo samedi 17 oct. 2015 : la lumière est pourtant très dominicale.


Les dimanches en fin d'après-midi, quand j'étais enfant. Tout était fermé, et l'on s'ennuyait ferme. Il prévalait durant ces heures le sentiment d'une vacuité plane (ne me demandez pas ce qu'est au juste une «vacuité plane»), la certitude que l'instant s'était étalé jusqu'à l'infini ou que les minutes s'étaient figées dans une immobilité totale (infini et immobilité sont la même chose, encore une fois, ne me demandez pas de vous expliquer).

Et il y avait une lumière particulière, la lumière des dimanches (rien de religieux ou de mystique dans cette observation). Elle n'appartenait pas en propre à cette journée, mais se remarquait mieux en ces heures désœuvrées. Une lumière volontiers froide, et blanche. Il m'arrive de dire, le samedi ou en semaine, «tiens, la lumière est dominicale aujourd'hui».

Le plus curieux est que je m'ennuie de ces moments d'ennui. Je les regrette. En tout cas, je ne les ai pas oubliés. Pour recréer ces heures hors des heures, pas besoin d'attendre le dimanche. Le samedi, on l'a vu, peut s'avérer, lui aussi, très dominical. Il suffit de sortir, de faire un pas devant l'autre, bref, de marcher. (Pas plus compliqué que ça.)

mercredi 4 octobre 2017

Pourquoi écrire ?


Pour devenir ou rester pauvre. Pour lancer des cailloux dans la mare déjà agitée du monde. Pour ne pas avoir à lire la production d'autrui. Pour passer inaperçu à la rentrée. Pour favoriser la façon la plus sophistiquée qui soit de faire un selfie. Pour alléger le poids de la réalité sur vos épaules. Pour vous convaincre qu’elle n'existe pas. Pour la réinventer. Ou pour vous l'expliquer à vous-même.

Pour s’exprimer au nom de son âge, son sexe, sa nationalité, etc.

Pour s’exprimer sans être limité par son âge, son sexe, sa nationalité, etc.

Pour s'exprimer.

(J'ouvre une parenthèse. Écrire pour s'exprimer est bien la raison la plus inepte qui soit à invoquer. Ou alors, ce n’est un prétexte. Quoi que vous fassiez, vous ne pouvez manquer de vous exprimer. Vos paroles, vos silences, vos gestes et vos attitudes sont à vous et portent votre marque. Il est impossible de faire autrement, sauf à être une machine. S'exprimer devrait être le dernier souci de quelqu'un qui crée. Le premier devrait être celui de créer, justement, ce qui est plus compliqué que de s’exprimer – exploit qui reste à la portée de n’importe qui. De toute façon, il y a toujours assez de prétextes pour justifier l’acte de création.)

Pour le sentiment d’urgence qui vous anime et vous pousse en avant. Pour que votre colère serve à quelque chose ou quelqu’un. Pour être original, tout comme des millions de gens. Pour être original (bis) comme un tel, votre idole.

Pour l'aura de mystère qui entoure l'acte d'écrire. Pour passer vos journées au café (Ciel, je suis démasqué !). Pour donner un air songé à vos silences. Pour entrer dans le dictionnaire. Pour faire honte à votre entourage. Pour bénéficier des touches Supprimer et Retour arrière du clavier - sans compter la corbeille de l'ordinateur - qui manquent cruellement dans le monde réel. Pour l’aspect sexy attaché au métier d’écrivain (désolé, vous vous trompez d’époque). Pour écouler votre collection de plumes d’oies.

Pour ajouter votre voix au concert. Pour enterrer la cacophonie ambiante. Pour ne pas avoir à parler. Pour passer à Tout le monde en parle. Pour toucher de plus près la souffrance, la vôtre, celle d’autrui. Parce que même un mauvais brouillon est réutilisable, contrairement à nos autres ratages. Pour faire passer un message. Pour dénoncer, témoigner, changer le monde – lequel est dans l'état où l'ont mis ceux qui précisément ont écrit avant vous pour dénoncer, témoigner, changer le monde. Pour échapper à The Game of Thrones qui vous semble aussi lourde et risible dans sa version écrite que télévisée. Par timidité sociale. Par manque de pudeur. Par exhibitionnisme. Pour inventer des dialogues brillants (que vous ne réussissez jamais à placer dans les cocktails).

Pour obliger vos amis à vous lire, ce qui montre bien la part de perversion qui entre dans toute relation humaine.

Pour épuiser quelques-unes des possibilités de la Bibliothèque de Babel (cf. Borges). Pour obtenir une image compréhensible de la vie. Pour rédiger de spirituelles dédicaces. Par vocation. Par ambition. Par manque d'ambition. Pour la satisfaction de l'ouvrage accompli. Pour vingt fois sur le métier, etc. Parce que vous êtes un être torturé et que ça n’améliore pas la situation.

Parce que l’insupportable légèreté de toute chose mérite bien qu’on lui consacre une brique explicative.

Pour étaler vos phantasmes à pleines pages. Parce que le scritch, scritch, scritch de la plume sur le papier est un mantra qui vous permet de saisir la vie qui passe – sans faire de bruit.

Pour mettre des mots en italique ici et là.

Parce que c’est moins cher qu’une psychanalyse. Pour honorer votre signature et respecter vos engagements. Pour remettre votre manuscrit à temps. Pour filer la métaphore. Pour employer le mot juste. Pour employer des mots simples. Pour employer le mot palimpseste. Pour faire la guerre aux clichés. Pour distribuer les exemplaires d’auteurs en cadeaux (voir ce qui est écrit plus haut sur les dédicaces).

Pour gagner des prix littéraires. Pour être adapté à la télévision ou au cinéma (Hollywood, c’est quand même plus payant). Pour refuser les prix littéraires. Pour rédiger des demandes de bourses ou de subventions. Pour recevoir les lettres de refus/d’acceptation. Pour voir son livre dans les rayons de sa bibliothèque municipale. Pour voir son livre en librairie. Pour le plaisir de commander son propre livre au libraire.

Pour donner une suite au premier tome qui s’est bien vendu. Pour vous venger de … (longue liste omise par discrétion). Pour rendre hommage. Pour ne pas oublier. Pour qu’on se souvienne. Pour qu’on sache. Pour que l’on consacre des thèses à votre œuvre. Pour avoir une chambre à soi. Pour les mauvais livres qu’il vous est arrivé de lire (faire mieux sera facile). Pour la postérité (Facebook serait plus indiqué).

En effet, pourquoi écrire ?

Parce que les choses sont mieux dites dans les livres.

Parce que les choses n’existent et ne prennent sens qu’une fois transformées en littérature.

Parce que « le monde est fait pour aboutir à un beau livre ». (Mallarmé)

Et que ce livre est toujours à réécrire et à relire.


dimanche 20 août 2017

Poètes, vos papiers !


Autrefois, le clergé exerçait une influence exagérée, mais il avait la particularité de se confiner en des lieux connus et la maladresse de revêtir ses agents d'un uniforme bien reconnaissable. Aujourd’hui, un clergé nouveau, ayant tout conservé du rôle de surveillant et de dénonciateur de l’ancien, mais sans signe distinctif ni mandat, s’est répandu partout et exerce son emprise sur tous les milieux, tant publics que privés.

L’ancien clergé a renoncé à l’Enfer ; le nouveau le recréerait volontiers pour y expédier les mécréants.

Le monde est une ample chose. Certains, saisis d’agoraphobie devant sa vastitude, se sont dépêchés d’y tracer des chemins de plus en plus étroits et de plus en plus rares en dehors desquels il est interdit de s'aventurer. Ces ornières sont les seules légitimes et le fait de se plaindre des contraintes qu’elles imposent vous vaudra les foudres des hautes autorités qui ont décidé de leur tracé.

Bientôt, le port d’œillères sera obligatoire. On ne verra plus en cheminant que ce qui a le droit d’exister.

Dans la nouvelle version du conte du berger qui crie au loup, le berger reçoit des encouragements à chaque alerte qu’il lance, que le loup y soit ou pas : d’ailleurs, il y est toujours, vous pensez bien.

Avez-vous lu La plaisanterie de Kundera ? Le narrateur est condamné aux travaux forcés pour une plaisanterie rédigée au dos d’une carte postale adressée à sa douce. Bien sûr, tout cela se passait dans la Tchécoslovaquie communiste de l’après-guerre. Rien de semblable n’est à craindre dans nos démocraties. Personne n’aura eu à craindre l’emprisonnement, l’opprobre général ou le harcèlement pour un simple petit mot, même maladroit.

Certaines personnes œuvrent pour le Bien et se dépensent sans compter pour son avènement. Elles se distinguent par leur zèle sans repos, leur acharnement tatillon, leur penchant à juger capitale toute infraction à leur code pléthorique, amplifié et enrichi d’édition en édition, par le ton immanquablement vindicatif de leurs discours, leur refus de toute discussion, leurs campagnes d’épuration multipliées, leur souci de débusquer le moindre contrevenant, leur absence de mansuétude, leur volonté d’en finir avec l’Adversaire, surtout s’il n’est qu’un simple individu, de l’écraser et de l’exclure de la communauté. Heureusement que ces personnes travaillent pour le Bien, sinon on les craindrait.

Si l’Inquisition revenait, elle trouverait amplement à recruter.

Vous connaissez les techniques de contrôle des personnes et des idées employées par les gardes rouges de Mao pendant la Révolution culturelle chinoise des années 1960 ? Quelqu’un, un déviationniste, était sommé de faire son « autocritique » devant un tribunal populaire improvisé (et néanmoins fermement tenu en main) ; ses « aveux spontanés », loin de lui valoir la clémence de ses juges (la foule contrainte de jouer ce rôle), aggravaient son cas et déclenchaient une cascade d’accusations. Chacun devait y aller de sa diatribe à l’égard de l’accusé, pardon, du condamné (d’avance) ; fait capital, chaque intervention devait être en crescendo par rapport à la précédente. Qui se taisait ou manquait de mordant se retrouvait à son tour au banc des accusés (pardon, des condamnés d’avance). Évidemment, c’était la curée.

Heureusement, rien de pareil n’existe dans notre monde et il y a tout lieu de croire que la méthode n'a plus cours. On peut refuser d'emboîter le pas à une campagne d’indignation un brin exagérée ou tenter de nuancer les choses. Vraiment, on peut encore faire ça ?

Le débat sans débats n’est pas un débat : c’est du terrorisme intellectuel.

Je reviens à La plaisanterie de Kundera. Le pauvre narrateur est jugé par ses confrères de classe. L’un d’eux, un de ses amis, tient un réquisitoire particulièrement inspiré pour démontrer à l’auditoire (au tribunal) la gravité du crime du narrateur et réclamer la plus grande sévérité contre lui. Le plus drôle : l’ami aurait tout aussi bien pu réclamer la peine de mort et l’obtenir. Un soupçon de zèle de plus, le tribunal aurait acquiescé…

Qui veut faire l’ange fait la bête comme disait l’autre.

La vie n’est pas facile, les motifs de souffrance sont légion. Nous ne sommes pas égaux devant la souffrance. Ou plutôt, certains sont plus inégaux que d’autres. Ce qui est intéressant, c’est moins l’existence de la souffrance dans ses versions individuelles ou collectives que la nécessité de bien les étiqueter. C’est ainsi que certaines souffrances seront montées en épingle et jugées exemplaires ; d’autres, eh bien, seront jugées négligeables ou imaginaires.

Faites un petit retour en vous-même. Dressez la liste de tous les propos qu’il vous serait extrêmement imprudent de tenir en public et qui sont néanmoins parfaitement inoffensifs.

Quand j’étais jeune, nos professeurs nous enjoignaient de « dire les choses dans nos propres mots ». Aujourd’hui, le choix des mots ne nous appartient plus. Le choix des sujets de discussion non plus. Même parler du beau temps sera dangereux : de quel droit dire qu’un temps est plus beau qu’un autre ?

Que certains osent croire en la liberté artistique constitue un scandale. Je profite de cette tribune pour dénoncer ce crime par la pensée. D’ailleurs, le seul fait que quelqu’un produise quelque chose d’original prouve qu’il n’a pas encore compris que seul le prévisible est permis, puisque tout ce qui peut se dire a été soigneusement répertorié et communiqué à la société.

Poètes, vos papiers ! comme disait l’autre.

samedi 19 août 2017

L'estime de soi de Narcisse


Les blessures narcissiques de l'humanité :

  • Avec Copernic, nous avons appris que nous ne sommes pas au centre de l'Univers ;
  • Avec Darwin, nous avons appris que nous ne sommes que des animaux comme les autres ;
  • Avec Freud, nous avons appris que notre être conscient n'est pas aux commandes.

Autre blessure, la plupart du temps omise de la liste ; avec Kant, nous avons appris que nous ne sommes pas à la hauteur du mystère.

Après ça, venez nous parler d'estime de soi...

mercredi 5 juillet 2017

Le genre, les femmes et moi


J'étudie les nouvelles théories du genre. Si je comprends bien, les hommes sont des femmes dans des corps non désirables et les femmes, des hommes dans des corps désirables ?

Bien sûr, je me place dans une perspective qui est la mienne, une perspective mâle et hétérosexuelle, mais dans un monde où on se fait une obligation de n'émettre que les opinions les plus inclusives possibles, je prends plaisir à ne parler qu'en mon nom propre. Le dialogue est plus facile quand tout le monde s'en tient à ce principe.

mercredi 28 juin 2017

Terrains vagues, destin et vacuité


On n'est jamais autant soi-même que dans le no-man's-land temporel qui suit un rendez-vous. Moment de vacuité pure où l'on est sans destin.

C'est l'équivalent existentiel d'un terrain vague dans le quadrillage urbain.

Terminus, tout le monde cesse de travailler


Il n'y a pas de dieu romain du travail. Aucun dieu ni déesse de leur panthéon ne se serait abaissé à accepter une telle fonction, je n'ose dire un un tel emploi. Par compte, il y avait un dieu des bornes et des limites : le dieu Terminus qui fixait le terme (of course) aux choses. Rendez-lui grâce la prochaine fois que vous prendrez votre pause-café : la productivité aussi a ses limites.

dimanche 25 juin 2017


J'ai des rides, mais ce sont de jeunes rides. En fait, les parties ridées de mon visage sont plus récentes que ses parties lisses.

De là à dire que celui qui ride rajeunit...

samedi 24 juin 2017

Apocope et Aphérèse vont en bateau...


Si une apocope n'est pas une aphérèse, peut-on affirmer qu'une 'pocope en est une ?

Et si une aphérèse n'est pas une apocope, peut-on dire d'une aphérè' ?

Être ou ne pas avoir


On aime opposer avoir et être, toujours au détriment du premier. Or, entre avoir de l'avoir et avoir de l'être, c'est toujours avoir qui est à la base.

vendredi 23 juin 2017

MétroFlirt


Une collègue m'a fait découvrir «MétroFlirt», chronique du Journal Métro de Montréal où il est possible d'adresser un message destiné à telle ou telle personne qu'on brûle de revoir pour l'avoir croisée dans le métro ou l'autobus.

«Quelqu'un a attiré votre regard ? Vous désirez la ou le revoir ? Écrivez-lui et consultez les messages sur journalmetro.com/flirt ou sur Twitter /metroflirt. Surveillez bien cet espace, on parle peut-être de vous !» Lien.

Non, mais, qui peut être assez fat pour vérifier si on parle de lui dans «MétroFlirt» ? Le résultat est que les appels restent sans écho, seules les personnes en état de désir y publient des missives, les personnes désirées, ignorant qu'elles le sont, ne pensent même pas vérifier la chose. D'ailleurs, le taux de réponse est pratiquement nul, la quasi totalité des messages sont ignorés, quelques rares récoltent des commentaires anodins.

Si le fond des messages est prévisible (tu es belle à couper le souffle, tu es éblouissante, comment t'inviter à venir prendre un café, etc.), la forme est caractérisée par un lyrisme échevelé, une syntaxe boiteuse et une orthographe catastrophique. La hâte et la nécessité d'être compris font que les clichés les plus éculés (cliché !) réapparaissent d'une missive à l'autre. Plusieurs hommes se croient obligés de parler de leur honnêteté et de leur empathie (on dit «bonne écoute»), ce qui produit l'inverse de l'effet recherché. Il est souvent question de regards captés, de sourires reçus. Il est inévitable que des regards se croisent dans les transports en commun, un sourire n'est souvent que politesse ou embarras. C'est assez pour déclencher des enthousiasmes à sens unique. Certains s'enflamment facilement. Le chemin qui mène au coït est pavé d'illusions et mène à bien des cul-de-sac.

Voulant m'inscrire dans ce genre littéraire nouveau pour moi, j'ai rédigé et publié quelques messages sur «MétroFlirt». Le défi était de rester «dans le ton». Je précise que je n'habite pas Montréal et que tout n'était que pure invention. Je ne m'attendais pas à recevoir de réponse. D'ailleurs, je n'en ai pas reçues. J'aurais été bien embêté d'y donner suite...

J'ai signé mes messages Balthazar Tableraze. Ce pseudonyme me semble plein de classe. Voici les versions originales de mes brûlantes missives, parfois un peu remaniées avant leur publication dans «MétroFlirt». Ils apparaissent ici dans l'ordre de leur rédaction (non de leur parution). Les numéros des autobus et leurs directions m'ont été proposés par ma collègue. Pour les textes inédits, les numéros sont peut-être encore arbitraires.

J'abandonne «MétroFlirt». Pour parler dans le vide, j'ai déjà mon blogue.

* * *

Hypocrite lectrice (cf. Baudelaire) du 24 Sherbrooke O de 6 h 45

Chaque matin, tu fais semblant de t'absorber dans la lecture d'un bête roman. Hypocrite beauté, derrière les persiennes de tes faux cils, tu es en réalité à l’affût des ravages que ton altière splendeur sème sur son passage. Entre tous les restes épars des pauvres êtres pulvérisés par l'attentat anatomique que perpétue ta présence parmi nous, n'as-tu pas remarqué à tes pieds pédicurés, et même manucurés, ce lambeau de chair qui palpite et s'agite dans ses derniers soubresauts : mon cœur.
Publié le 17 mai 2017.

Merveille de la ligne 10 N des matins de semaines

Tu t'assoies et je me dis c'est merveilleux, elle resplendit. Tu passes ta langue sur tes lèvres et je me dis tiens, c'est merveilleux, elle a une langue ! Ta main dans tes cheveux, comment avoir trouvé ça ? Tu respires, c'est merveilleux ; tu transformes l'oxygène en chaleur, ta poitrine se soulève, c'est merveilleux. Tu regardes par la fenêtre, quel ennui, penses-tu, quelle merveille ! que je pense. Merveilleux, tout chez toi est merveilleux, c’est merveilleux.
Publié le 11 mai 2017.

À la passagère du 55 N de 8 h 15

Je suis monté à bord de l'autobus. Tu souriais ; ton sourire ne s'adressait pas à moi, je n'en fus que la victime collatérale. Depuis, je ne dors plus, je ne mange plus, je ne rêve même plus ; au lieu, je pense à toi. Sur les parois de ma cervelle brûlée par ton irradiance, ton image s'est fixée. Tu montes en flammes dans la nuit solitaire de mon esprit. L'espoir de t'arracher un regard confine à l'utopie. Pourtant, un signe de toi et j'aurai le courage de me ressaisir. Alors, j'oserai t'aborder.
Ou peut-être pas.
PS. – Qui est le gars qui t'accompagne tous les jours et qui t'embrasse avant de descendre à la station X ? Ton frère ? Un ex ?
Publié le 3 mai 2017.

Atchoum !

Chère voisine de banquette de la ligne 80 Nord de 8 h 00,
Quand je pense à quel point je brûlerais de passion pour toi si tu n'étais pas celle que tu es, je me dis que d'occasions ratées qui ne se présentent même pas. Quel gâchis !
Signé : ton Anonyme inconnu.
Publié le 6 mai 2017.

Linguiste

Quel dictionnaire contient les mots qui me permettraient de te parler ? Quelle grammaire explique la syntaxe de ton cœur ?
Inédit (et le restera).

Obstacle (dans l’autobus X de 9 h 12)

Deux centimètres et quelques minces couches de vêtements séparaient nos épidermes. Debout dans l'autobus, tu t'es accrochée à la barre métallique ou mes mains venaient de laisser une pellicule de moiteur salée. Nos mollets se sont frôlés, j'ai presque plongé le nez dans ta chevelure. Pourquoi ta grosse sacoche s’est-elle interposée entre nous ?
Inédit (et le restera).

À celle qui est trop gaie (cf. Baudelaire*)

Tu souriais. J'ai cru être la cause ou le témoin d'un événement exceptionnel. Mais non, tu souriais, c’est tout. Depuis, j'ai remarqué que tu souris tout le temps, ce qui te donne un air insignifiant. J'espère que la lecture de ces mots te déprimera et que la pâleur du spleen te vaudra un charme que tu n’as pas. (Autobus 76 de 8 h 35, direction Est.)
Inédit (et le restera).
* Pour éviter tout malentendu : c'est le titre d'un poème de Baudelaire qui n'a rien à voir avec les questions d'orientation sexuelle.

Il y a péril à se pencher

J'étais debout dans l'allée de l'autobus, tu t'es penchée pour te lever de ta banquette. Par entrebâillement de ton collet, j'ai entrevu, tapi dans la pénombre que lui créait ton t-shirt, le bout de ton sein droit. Depuis je me demande si le gauche (celui du cœur) est aussi beau. Me laisseras-tu ainsi avec une image borgne de ta beauté ?
Inédit (et le restera).

Un petit effort s.v.p.

Certains jours, tu montes dans l’autobus, blonde, les lèvres très rouge ; d’autres fois, tu es une brune aux longs cheveux droits. Tes yeux sont bleus, ou verts, ou noirs. Exubérante ou préservant ton quant-à-soi, selon des caprices dont j’ignore la logique. Sur ta peau douce, la soie est papier sablé ; la brise est pataude et claudicante comparée à ta démarche. Ta voix…, ah, ta voix, qu’en dire qui ne soit insuffisant ?
Pour tous ces jours que je passe à t’inventer, tu pourrais au moins faire l’effort d’exister et de venir à moi !
Publié je ne sais plus quand.

À la passagère de l’autobus 55 Nord de 8 h 15

Mon horaire change et je prendrai désormais le 55 Nord de 7 h 45. Pourrons-nous poursuivre ce tête à tête muet que nous entretenons depuis maintenant 4 ans, huit mois et cinq jours ? Je lirai mon journal, tu consulteras ta tablette, comme d’habitude. Maints vieux couples s’épanouissent dans une routine semblable. Nous permettras-tu de fêter bientôt dans l’autobus, à notre manière discrète, nos noces de bois ?
Publié le 3 mai 2017.

À celle qui se reconnaîtra

Nous nous sommes vus, nous nous sommes reconnus, toi qui me cherchais depuis toujours, moi qui te cherchais depuis l’aube de moi-même. Sans la présence intimidante de la centaine de passagers de l’autobus no 54 de 15 h 18, direction centre-ville, quelles folies, quelles exubérances n’aurions-nous pas osé commettre ? Je rentre par l’autobus de 23 h 12, toujours vide de passagers.
À ce soir !
Inédit (et le restera). 

mercredi 17 mai 2017

Vroumm, tasse-toi neveux !


Le préjugé courant selon le quel la jeunesse serait naturellement en phase avec la nouveauté est probablement indéracinable. L'âge mûr, paraît-il, serait plus réfractaire aux changements.

Pourtant, réfléchissez ; le temps, dans les jeunes années, s'écoule avec une lenteur exaspérante. La jeunesse vit dans un éternel présent. Toute nouveauté, dans ce no man's land à l'horizon plat, est accueillie comme une chose rare et inespérée. Au contraire, à mesure que les ans s'accumulent, le temps s'accélère. Arrive un âge où les nouveautés, qui étaient comme les poteaux espacés le long d'une route parcourue à pied, se distinguent à peine l'une de l'autre tellement le tempo est devenu rapide. Le chemin, désormais, se fait en voiture sport. Vroumm-vroumm, tasse-toi neveux !

Ce sont donc les « anciens » qui ont l'expérience la plus authentique de la nouveauté tandis que ce sont les jeunes qui baignent dans l'immuable espace mental qui est le leur et qui ne supportent pas d'être bousculés ou contestés dans leurs certitudes éternelles. Ajoutons que tout paraît neuf à un nouveau-né qui ignore de quoi hier était fait.

samedi 6 mai 2017

Langue rapaillée et affranchie


Anne-Marie Beaudoin-Léger vient de publier aux Éditions Somme toute La langue affranchie : se raccommoder avec l'évolution linguistique. Je n'ai pas encore lu l'ouvrage, mais ça devrait être chose faite très bientôt. Madame Beaudoin-Léger avait déjà fait paraître chez le même éditeur il y a deux ans La langue rapaillée : combattre l'insécurité linguistique des Québécois. À l'époque, j'avais été suffisamment agacé par ses propos pour me fendre d'un long compte-rendu -- que j'avais rangé dans mes brouillons.

Voici donc, avec mon souci coutumier de coller à l'actualité, le texte question, rédigé en juillet 2015.

(Louis Cornelier, dans Le Devoir du 6 mai 2017, a rendu compte de sa lecture de La langue affranchie.)


* * *


À propos de La langue rapaillée d'Anne-Marie Beaudoin-Léger, Éditions Somme toute, 2015.

À partir de postulats tout à fait raisonnables - ne pas abandonner la langue aux puristes ; accorder le juste crédit qui revient langage familier, forcément approximatif et désinvolte comparé au langage soigné, plus rigoureux quant à l'observation des règles ; revendiquer nos particularismes, nos régionalismes, Mme Beaudoin-Léger nous conduit à une attitude que je ne peux que condamner. Comme quoi, partager les prémices d'un raisonnement avec quelqu'un ne garantit pas que l'on parvienne aux mêmes conclusions !

Avec son ouvrage sous-titré Combattre l'insécurité linguistique des Québécois, la linguiste Beaudoin-Léger entend rien de moins que redonner aux Québécois la fierté et la pleine possession de leur langue. Objectif que les intéressés atteindront sans peine s'ils adoptent les raisonnements de l'auteure : le français québécois constituant une variété légitime du français, nous n'avons qu'à nous débarrasser du sentiment d'infériorité à la base de notre insécurité linguistique pour que tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes.

L'argumentation de l'auteure repose sur le concept des registres ou niveaux de langue. Je résume ses propos en disant qu'il existe d'une part le registre soigné, soumis aux règles, peu variable d'un pays à l'autre, et, d'autre part, le niveau familier, plus désinvolte quant aux prescriptions et très variable d'un point à l'autre de la francophonie.

Toujours selon Mme Beaudoin-Léger, le registre familier du français québécois est un niveau de langue légitime et constitue une variété tout à fait acceptable du français. Le niveau soigné, toujours selon l'auteure, est réservé aux occasions où les codes sociaux nous imposent de bien paraître (allocutions, productions écrites). Le niveau soigné, assure Beaudoin-Léger, s'apprend à l'école ; le niveau familier suffit à la plupart des occasions, les gens passant d'un registre à l'autre selon les circonstances.

J'avoue entretenir une vision moins idyllique des choses.

Dans la vie, les gens s'en tiennent généralement à un seul registre ou peu s'en faut. Ceux qui ne pratiquent jamais le registre familier de bon aloi (le registre familier compte bien des sous-niveaux) ou soigné n'acquièrent jamais ou bien perdent les compétences nécessaires à leur maîtrise. (Passons sur la stupéfiante déclaration selon laquelle le niveau soigné s'apprendrait à l'école. J'ai des doutes à ce propos ; quels établissements a fréquenté l'auteure, quel niveau de langue était pratiqué chez elle quand elle était petite ?)

Mme Beaudoin-Léger affirme que le registre de la langue et le code vestimentaire obéissent aux mêmes règles. «Tout est question d'apparence» affirme-t-elle (p. 32), on ne va pas à un gala, où «l'image compte» (p. 32), avec les habits que l'on porte pour travailler à la maison. (Passons sur cette autre déconcertante déclaration qui, venant d'une linguiste, est proprement ahurissante : le niveau soigné ne serait qu'une question d'apparence. Quid de la capacité de livrer un message clair et structuré, de distinguer entre les nuances et de pouvoir faire preuve de créativité ?)

À réserver le registre soigné à de rares occasions (cf p. 50) où le bon parler s'apparente au port d'une robe de soirée ou d'une cravate - quelle vision guindée se fait l'auteure de la maîtrise de la langue ! - , on condamne les locuteurs à toujours paraître empesés en l'employant et à le pratiquer avec la maladresse des débutants. Et c'est bien ce que nous observons. Le registre soigné reste un niveau étranger à bien des Québécois - on n'a qu'à écouter le baragouin confus des politiciens et politiciennes, incapables de s'exprimer simplement et correctement, incapables d'employer le ton juste.

En fait, le niveau universellement utilisé au Québec est le familier-très-familier. Mme Beaudoin-Léger, à magnifier ce registre, néglige un fait essentiel : beaucoup de gens au Québec ne parviennent tout simplement pas à maîtriser le registre familier correct. Quant à s'élever au dessus...

Le jeu de serpents et échelles linguistique que nous décrit Mme Beaudoin-Léger, avec ses virtuoses de la glissade et de l'escalade, a une amplitude beaucoup plus limitée dans la réalité que dans son imagination. Ceux qui sont à l'aise dans les registres supérieurs y restent, en général ; ceux qui ne pratiquent que les niveaux inférieurs ne grimpent jamais très haut.

La pauvreté du vocabulaire et de la syntaxe de bien des Québécois les maintient dans une maîtrise très approximative de leur propre langue. La situation engendre un phénomène d'auto-illusion inquiétant : plusieurs se targuent de parler un bon français alors que leur langage est truffé de barbarismes et de calques de l'anglais. Mme Beaudoin-Léger ne touche mot de cette situation qu'elle escamote en rangeant faits linguistiques heureux et moins heureux dans la catégorie du registre familier, sorte de fourre-tout décidément bien commode.

Malgré nos discours sur la protection du français, malgré les leçons que nous adressons aux Français friands d'anglicismes, nous sommes nous-mêmes allergiques à la moindre critique. Pire, quand on signale une erreur ou une défectuosité de notre langue (pensons à la lalalisation du français au Québec), nous en faisons un objet de fierté. C'est nus zaut', cé comme ça qu'on'é !

Minoritaires au Canada et en Amérique du Nord, minoritaires dans la francophonie, toute volonté de trop nous distinguer nous isolera des autres francophones et diminuera l'attraction déjà réduite du français sur notre continent. Pourquoi les émigrants se casseraient la tête à apprendre un patois qui n'aurait pas cours hors de nos frontières ? (Tout ce paragraphe déplaira à Mme Beaudoin-Léger qui a balayé d'un revers de la main ces arguments dans son ouvrage.)

La tentation du repli sur soi-même linguistique, celle d'établir une langue distincte au Québec est toujours présente. Pensons à la velléité, exprimée il y a quelques années, de traduire les Évangiles en québécois... Comme si le français actuel était une langue qui nous était aussi lointaine celle de Rabelais ! Cette distinguite à tout prix qui nous distingue va de pair avec la tendance à s'émerveiller du moindre de nos travers, comme je l'ai dit plus haut, à y voir une marque de notre génie inventif.

Hubert Aquin, dans La fatigue culturelle du Canada français (1962), déplorait déjà notre tendance à nous conformer à l'image folklorique que les autres ont de nous. Le problème ne date pas d'hier !

Mme Beaudoin-Léger se désole du regard moqueur, sinon condescendant que certains posent sur notre langue (voir le chapitre «Une blague plate», p. 95). Or, ceux qui se moquent (gentiment ou pas) de notre parlure sont, en matière de déliquescence langagière, beaucoup moins inventifs que ceux qu'ils brocardent. Qui, en effet, nous donne cette réputation de gens au langage si pittoresque, si approximatif, si enfantin, sinon nous-mêmes ?

Ce n'est pas en glorifiant une langue familière souvent approximative, farcie de calques de l'anglais, de barbarismes et d'incorrections grammaticales (je place à part les régionalismes et les archaïsmes qui constituent une vraie richesse, notre vraie distinction) que nous leur feront changer de regard.

Mais nous tenons tellement à nous distinguer !...

Henri Lessard, juillet 2015

samedi 1 avril 2017

Le droit à la contrainte

L'autre jour, dans un café, quelqu'un, poing sur la table, a lancé l’affirmation définitive que « la violence n'est jamais un moyen ».

— Et pourquoi pas, dis-je, puisque ça marche ?

Un silence gêné s’est installé. D’ailleurs, il n’y a pas de meilleurs indices de l’évidence d'un énoncé que le mutisme qui l’accueille.

Pensons-y, un moyen si universellement employé – la violence – doit être adapté à ses fins. Il ne peut pas ne pas entrer dans la gamme des comportements normaux et, en tant que tel, il ne peut appeler que des réponses normales et attendues, soumission ou contre-violence.

En plus clair : nous sommes violents parce que nous sommes faits pour céder à la violence. Menaces et soumissions sont des régulateurs sociaux, en œuvre quotidiennement, si bien intégrés à notre fonctionnement, à notre psychologie, qu’on les remarque à peine.

Sans menaces, sans coercition, rien ne tient ou ne subsiste.

Même le christianisme, religion la plus angélique qui soit, basée sur l’amour et le pardon, n’a pu s’imposer qu’en vouant ses détracteurs à l’enfer sans rémission. (Voyez comment la rectitude politique, toute empreinte de louables intentions, ne fonctionne que par un système de délations et de mises au pilori universelles : tout le monde surveille tout le monde et tout le monde doit tomber sur le délinquant du jour. Mais c’est une autre question, quoique, pas tout à fait.)

Par violence, je n'entends pas spécialement la violence ouverte, physique ou psychologique, mais toute la gamme des comportements qui vont des menaces à l'intimidation, au chantage, à la négociation jusqu’aux obligations que l'on impose d’autant mieux aux autres qu’on se les impose à soi-même – parce qu'elles vont de soi et que personne ne les contesterait. Bref, la contrainte avec conséquences. La violence ouverte se situe à l’extrémité d’un large éventail de comportements. Elle est une réaction à un acte d’insoumission ou à une agression en vue d’obtenir un acte de soumission.

Les zèbres ne se laissent pas apprivoiser. Ils sont insensibles aux menaces, à l'intimidation et aux récompenses. Insistez, faites-vous menaçant, haussez le ton, câlinez-les, ils vont ruer, mordre, mais ils ne se soumettront pas. Résultat, les zèbres sont demeurés libres et sauvages, alors que les chevaux, qui se laissent apprivoiser – sensibles qu'ils sont aux menaces, à l'intimidation et aux caresses – constituent une espèce domestiquée. Parait, soit dit en passant, que l'histoire aurait été très différente si les Africains avaient pu disposer d’une cavalerie –une zèbrerie ?

Le cheval, animal grégaire et hiérarchique, dispose d'une gamme de comportements qui va de l'agression à la soumission. C’est ainsi que chaque cheval trouve sa place dans la horde ou au milieu de ses maîtres. Les humains, animaux grégaires..., complétez la phrase par vous-même.

Étant plus évolués que les chevaux, nous bénéficions en plus de la culpabilisation, imposée ou autogénérée, que ces derniers ignorent.

Tant de bonnes dispositions devraient nous faire réfléchir : nous sommes des êtres violentés et violents. (Ou violents et violentés, pas de querelle autour de la poule et de l’œuf s’il-vous-plaît !) La violence passe inaperçue lorsque le combat a été remporté il y a belle lurette et que le modus vivendi qui en a résulté est passé dans les mœurs et est devenu incontestable. La violence est LA forme de régulation sociale universellement utilisée.

À ceux qui se récrient, je demande de penser une seconde à la somme de contraintes (nom bénin de la violence) que nous subissons à l'école, au travail, à la maison, dans le couple. La plupart du temps, les êtres dociles que nous sommes obéissent. Ou nous répondons par des petites révoltes pour que la partie ne devienne pas insupportable et ne se déroule pas constamment en notre défaveur. On exige un arrêt du jeu (une trêve, en termes militaires), on négocie, ce qui alimente le mécanisme puisque ça revient à exiger plus de récompenses, donc à oublier le bâton en dorant la carotte... La lutte gagne à se faire discrète, afin que tous s’entendent pour pérenniser l’illusion que nous agissons librement, en bons zèbres fiers et indépendants que nous sommes.

Il faut s’aveugler soi-même pour ne pas voir que la violence ouverte n’est que la continuation du jeu social par le... même moyen ! D’ailleurs, le recours à la violence ouverte est le constat d’un échec ou d’un combat inachevé. Soit le processus qui laisse les contraintes travailler en sourdine ne fonctionne plus, soit il y a compétition à un échelon de la hiérarchie pour l’exercice du droit à la contrainte sur les échelons subalternes. (Notre époque aime multiplier les droits : pourquoi pas celui-là ?)

Les anarchistes et les libertariens prétendent contrer ce manège infernal en restaurant la liberté de tout un chacun. La bonne entente spontanée devrait s’ensuivre de l’affranchissement universel. D’abord, on ne peut rétablir ce qui n’a jamais existé, je veux dire la liberté libre de toute contrainte. Ensuite, les humains (je me répète, mais les évidences semblent vous échapper) sont des êtres grégaires et hiérarchiques.

Je prône le scepticisme et l'indulgence : côté zèbre, n’édifions plus d'utopies basées sur la libre entente spontanée entre les gens et cessons de multiplier les libérations qui engendrent de nouvelles contraintes ; côté cheval, usons de compréhension envers les pauvres êtres que nous sommes, jetés en pâture à l’inévitable jeu social.

Méditons la parole du sage :

«L’universel coup de pied au cul fait le tour du monde et tous les hommes, satisfaits, se frottent les fesses.» (Moby Dick, Herman Melville, cité de mémoire.)

samedi 25 février 2017

Dit-elle


Dit-elle, ou les dits de ma voisine

L'eau accueille et rejette ; elle ne s’oppose pas à notre intrusion dans sa substance et, en même temps, elle nous refuse – grâce à quoi plonger et flotter sont possibles. Son étreinte est glacée – il faut se jeter dans ses bras résolument – et douce : elle s'enroule autour de moi dans une caresse continue et totale.

mardi 21 février 2017

Sans tergiversation


Hésiter, c'est retarder une décision déjà prise.
Reste à décider, et vite, quelle décision j'ai déjà prise.

lundi 20 février 2017

Blues du lundi


Le lundi est le meilleur jour de la semaine. Le prochain weekend est trop encore trop lointain pour qu'on en soit obnubilé. D'où une disponibilité d'esprit remarquable pour le travail. Non ?

samedi 28 janvier 2017

Pertinent




J'ai cherché partout dans la neige l'icône pour liker ou partager, mais je ne l'ai pas trouvée.

(Je sais, il y a deux fautes pour un seul mot, mais le message se reçoit bien malgré tout. Et il était très tôt le matin, on peut pardonner à l'anonyme auteur.)

Photo : Ottawa, 27 janv. 2017.

jeudi 19 janvier 2017

Relire (Ajout)


Je préfère relire que lire, et même re-relire, et, pourquoi pas, re-rerelire. Les éditeurs, les libraires et les auteurs me feront de gros yeux, mais un texte déjà lu a mille qualités avérées qu'une primeur n'a pas ou ne possède qu'en puissance.

Avant de décrier ma pratique, pensez quelle serait votre infortune si vous étiez condamné à l'inédit perpétuel. Ne jamais revoir un paysage, ne jamais goûter deux fois un plat, ne jamais aimer deux fois la même personne… J'avais déjà pensé à une nouvelle autour de ce thème avant d'abandonner le projet (je laisse l'idée à qui la voudra). Une forte dose de répétition est nécessaire, même dans les plaisirs.

Nous lisons trop vite, et distraitement. Les quatre cinquièmes d'un texte nous échappent, tant la lecture, au fond, est une activité exigeante. Tenu en haleine par le suspense (ah ! le fameux suspense…, j'y reviendrai), tiraillé par les complications de l'intrigue, accaparé par la nécessité de retenir les noms, le lecteur fait ce qu’il peut. Sa tuyauterie mentale est forcée d'éliminer au fur et à mesure de gros morceaux qui risqueraient de faire grumeau et d'obstruer ses conduits, «le cerveau ayant pour fonction, comme disait l'autre, d'éliminer les détails gênants» (1).

Au mieux, une première lecture permet un repérage qui prépare les lectures subséquentes. Ce n'est qu'une prise de contact.

La deuxième lecture (immédiatement après la première, six mois ou sept ans plus tard) est l'occasion de plaisirs nouveaux mitigés par de fréquentes dégringolades dans mon estime personnelle. «Comment, j'ai été assez inattentif-aveugle-stupide (rayez les mentions inutiles) pour ne pas voir ça !» Ben, oui, j'ai été assez (épithète choisie) pour ne pas voir «ça». Le «ça» en question étant un indice, un bon mot, une allusion, une image ou une figure de style, etc. La vraie lecture est commencée ! Délivré de la nécessité de tracer mon chemin dans un texte inconnu et de la contrainte de suivre un itinéraire rectiligne à sens unique, je peux m'attarder à tel paragraphe, telle phrase, sauter des pages, revenir en arrière, relier deux passages éloignés qui n'attendaient que ça, précisément, que quelqu'un soit assez attentif-brillant-perspicace (rayez les mentions inutiles, merci de n'en rayer que deux) pour les mettre en regard.

Bref, contrairement à ce que l'on pourrait penser, relire, c'est la (re)découverte permanente, l'ébaudissement perpétuel, l'expansion à l'infini de l'aire de jeux. Le one way étroit de l’intrigue est devenu un champ littéraire dont on n'atteint jamais l'horizon et dont on n'épuise jamais les richesses. Et il y en a pour se priver de tels plaisirs ! L'ignorance, l'inconscience ou la paresse peuvent seules expliquer une telle répugnance à rouvrir un livre.

Il y a plus. Le temps est un éditeur très efficace qui améliore sans cesse les bons textes. (Il est plus dur, même cruel, avec les autres.) Une relecture n'est pas seulement une lecture en plus, mais une superposition de la nouvelle sur l'ancienne. On obtient ainsi une sorte de palimpseste où se confondent deux versions de la même œuvre. Dans l'intervalle des lectures, en effet, le climat de l'œuvre s'est subtilement transformé. C’est bien le même texte, mais, curieusement, on ne le jurerait pas toujours. Avec les mêmes mots, il ne dit plus tout à fait la même chose. Il arrive qu'un voile de commisération vienne brouiller le portrait de votre ancien moi. «Ah, comme j'ai pris de la maturité depuis la précédente lecture, comme je comprends mieux les choses…» (S’ensuit une agréable remontée dans votre estime de lecteur.)

Relire, c'est aussi abolir le temps puisqu'on en arrive à confondre en un seul moment les lectures successives, surtout si elles se sont étalées sur plusieurs années. Proust avait sa madeleine, moi, mes livres.

«Et le suspense», me direz-vous ?

Est-ce si grave de se priver de cet ingrédient réputé indispensable au plaisir de la lecture ?

D'abord, les textes qui ne tiennent que par le suspense ne m'intéressent pas. Je les exclue donc de mon univers et des rayons de ma bibliothèque. Disons-le, un texte qui perd tout intérêt une fois lu ne mérite tout simplement pas d’être lu. Et quand le suspense est trop fort, bien, je cours tout de suite aux dernières pages du livre pour connaître la fin ! Délesté de mon LII (Lecteur Impatient Intérieur) dont je devais supporter les trépignements, je peux désormais progresser ou digresser à ma guise sans avoir à subir les coups de fouet qui accompagnent ses exhortations frénétiques : «Plus vite, avance plus vite ! Je veux savoir comment ça fini !»

Que penseriez-vous de quelqu'un qui dirait : «Toi et moi, nous allons nous livrer à une activité très amusante et nous y mettrons fin le plus tôt possible. Surtout, nous ne répéterons jamais la séance.»

On ne réfléchira jamais assez à la disproportion entre le temps que réclame la rédaction et l'édition d'un livre, d'une part, et sa lecture précipitée, d'autre part. Les lecteurs s'apparentent parfois à un troupeau de goinfres assez déplaisants. D'où des expression détestables comme «consommer un livre»... Tant qu’à, pourquoi pas les consumer carrément, brûler les pages au fur et à mesure qu’on les tourne ?

Il est peut-être imprudent de faire l’apologie de la relecture dans une revue vouée à l’actualité et aux nouveautés. Que les éditeurs, les libraires et les auteurs ne me fassent pas de gros yeux : relire, c’est bien, mais je dois quand même de temps à autre lire du neuf pour renouveler mes relectures. 

(1) Denis Grozdanovitch, La puissance discrète du hasard, Denoël, coll. Folio, no 5771, 2013, p. 161. 

AJOUT (11 février 2017)

Un petit article qui tombe à point et dont je viens tout juste de prendre connaissance. L'équipe de Nicholas Christenfield, professeur de psychologie à l'Université de Californie, a fait lire des histoires à 800 volontaires. Or, conclusion à première vue tout à fait contre-intuitive de l'étude, mais tout à fait logique à mon sens, ceux des lecteurs à qui l'on avait dévoilé la fin des histoires ont mieux savouré leur lecture que ceux à qui l'on avait rien révélé. 

«Connaître la chute [d'une histoire] permet de profiter pleinement de la valeur d'une œuvre, plutôt que de la survoler en essayant sans cesse d'imaginer le dénouement.» Nicholas Christenfield, interrogé par Alexandre Pihen, Science et Vie, no 1192, janv. 2017, p. 109.

C'est exactement ce que je disais. Il est agréable de voir ses intuitions scientifiquement prouvées.

lundi 16 janvier 2017

16 janvier 2017, 16 h 54




16 janvier 2017, 16 h 54.

dimanche 15 janvier 2017

Sieste diurne


Toutes les siestes se ressemblent. Le même moment blanc avant l’assoupissement. Je dis blanc parce que je choisis de préférence l’après-midi pour piquer un somme et il entre à ce moment dans ma chambre la lumière froide de l’ombre, la pièce étant du côté est de la maison. Lumière sans soleil ni origine. Simplement, elle se répand à partir de la fenêtre. La même sieste répétée ou plutôt éparpillée en de multiples fragments. Au-delà de la succession des jours, il y a peut-être une continuité qui relit ces moments en une réalité unique.

(Morceau de quelque chose de plus long, dans le genre prose et fiction. Le texte complet, un jour ?...)