PAGE SÈCHE et ENCRE SYMPATHIQUE

Balourd 10, que ne rebute pas l'emploi de l'encre sympathique, n'entretient pas pour autant la phobie de la page blanche. (Une encre sympathique devient invisible en séch

vendredi 30 décembre 2022

Année julienne : neuf vies

Nouvelle extraite de mon recueil Une année julienne suivi de Perséphone


ISBN 978-2-9821444-0-8 (PDF)

Dépôt légal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2023

Mon recueil Une année julienne suivi de Perséphone est paru en mai dernier en version numérique (pdf). Il est disponible auprès de l’auteur (moi) sur demande et de BAnQ (Bibliothèque et Archives nationales du Québec) au bout de ce lien. Relisez les autres billets consacrés au recueil pour en savoir plus et ou pour savourer d'autres extraits (lien).







Le recueil déposé à CopyrightDepot.com et à la SARTEC :
© Henri Lessard, CopyrightDepot.com no 00072068
© Copyright Henri Lessard, manuscrit déposé à la SARTEC le 21 mai 2021, certificat no 34490.

* * *

Neuf vies


Tout un chacun peut trouver un réconfort quotidien à se dire : « Demain, je serai encore en vie ». On ne se trompera qu’une seule fois.
H.L

La mort est un mal. Les dieux en ont jugé ainsi : sinon, ils seraient mortels.
Sappho, poétesse grecque, VIIe-VIe s. av. J.-C.


Daussi loin que remontent mes souvenirs, j’ai toujours su que je disposais de neuf vies, comme un chat – ou plutôt comme une chatte. Je ne m’en suis jamais vanté. D’abord, on ne m’aurait pas crue et ensuite, des petits malins se seraient empressés de mettre mes prétentions à l’épreuve et la neuvaine au complet y serait vite passée. En réalité, c’est que j’étais un peu embêtée par cette générosité sans précédent du destin. On s’imagine d’abord jouir d’une chance extraordinaire, mais les complications apparaissent dès qu’on y réfléchit. À quel rythme épuiser mes vies de rechange, comment les dépenser à bon escient ? Patienter jusqu’à 99 ans avant de commencer à piger dans mon capital de résurrections ne ferait qu’étirer ma sénescence ; exhaler mon dernier souffle plusieurs fois dans ma jeunesse ou durant ma maturité ne m’assurerait au total aucune longévité exceptionnelle.

Les humains n’expérimentent la mort qu’une fois dans leur existence. L’anticipation de l’heure fatale les remplit d’angoisse et, dans les cas extrêmes, gâche littéralement leurs jours et leurs heures. Moi, je bénéficierai du privilège de pouvoir répéter mon départ ; je ne m’éteindrai pas en novice, en ignorante, je serai une pro du trépas, une blasée qui rendra son âme pliée et repassée, indemne des affres et froissures des derniers instants :

— Craindre l’agonie, moi ? Mais j’ai l’habitude, voyons, je suis morte tellement de fois déjà, lisez donc mon curriculum vitae !

C’était du moins ainsi que je voyais les choses au début.

Il y a bien la petite mort, l’orgasme, mais c’est autre chose et on ne perd aucun capital de vie à réitérer cette extinction inaboutie.

Parfois, j’avais envie d’aller au-devant des événements et de tester mon abonnement non reconductible à l’immortalité. Un frisson me parcourait quand je prêtais l’oreille à l’appel romantique de l’au-delà. Cependant, j’hésitais à risquer une vie, et surtout à risquer ma vie – si je me trompais et que je n’en avais qu’une, comme tout le monde ?

Le résultat de ces tergiversations fut que j’atteignis ma dix-septième année avec un stock de vies de secours intact.

Il y eut au printemps de cette année-là une fusillade au collège. D’abord résonnèrent dans mon dos des pop, pop, pop que j’aurais été en peine de reconnaître pour ce qu’ils étaient, les rafales d’une arme automatique. Puis, des cris dans les couloirs ; Martine, l’amie que j’accompagnais à son casier, me toucha le bras et lança par-dessus mon épaule un regard arrondi avant que son œil ne bascule ; une tache noire était apparue sur son pull over.

Ensuite, je ne sais plus puisque j’ai été abattue à mon tour.

On ne conserve pas en mémoire les secondes qui précèdent une perte de conscience. Personne ne se souvient non plus, je l’appris ce jour-là, de celles qui précèdent la perte de conscience finale, la mort. Notre autobiographie mémorielle s’arrête donc au mieux un instant avant notre fin biologique. La source du Léthé coule dans notre monde, nous en buvons l’eau de notre vivant et non après notre trépas, contrairement à ce que prétendent les philosophes.

Mais, entre nous, ce que disent les philosophes…

Martine n’aurait donc rien eu à raconter sur sa propre mort. Ayant été descendue une ou deux secondes après elle, je ne pouvais en dire grand-chose de plus, le moment de sa mort ayant sombré dans l’oubli où s’engouffra la mienne propre.

On crut que j’avais eu la présence d’esprit de me plaquer au sol et de demeurer immobile, de faire la morte, et que le sang qui imbibait ma robe et dont la flaque s’élargissait sur le terrazzo était celui de Martine. Comment leur expliquer leur erreur ? Il aurait suffi pour se rendre compte de la vérité d’analyser la flaque de sang où se confondaient le mien et celui de Martine. Mais on ne s’arrêta pas à ces détails, l’évidence était là, une morte par balle et une rescapée, indemne, côte à côte, et tout fut nettoyé sans distinction, d’un coup de vadrouille.

La vérité aurait été trop incroyable à raconter.

Si Martine s’était rangée de côté pour se faire un écran de mon corps – réflexe de conservation que je lui aurais pardonné –, j’aurais volontiers encaissé un chargeur au complet à sa place. Mais les choses s’étaient déroulées trop vite et elle n’avait pas eu le temps de se rendre compte de ce qui survenait.

Elle est morte, moi aussi ; je vis encore, elle non.

Trois étés plus tard, je commis une maladresse au volant sur une autoroute ensoleillé ; le dernier regard de Martine m’était apparu à travers le pare-brise et ma voiture fit une embardée. Les images de notre ultime échange muet près des casiers ne cessaient de me hanter. Martine avait eu, aux premiers échos de la fusillade, une expression de surprise, une imperceptible circon-flexion des sourcils – c’est à ce moment qu’elle m’avait frôlé le bras –, une sorte de « Oh ? » atone, puis son regard s’était absenté, comme s’il était possible de rengainer son être, de le laisser s’éteindre sans plus de manières dans le noir, derrière les pupilles. Je butais sans cesse sur cette petite syllabe qu’elle avait fait mine d’émettre, syllabe de surprise (« Oh ! ») ou d’affaissement (« … oh… »). Parfois, je me persuadais qu’il n’y avait eu dans cette exclamation jamais prononcée qu’une modulation trop subtile pour être captée sur le vif ; il fallait un effort de concentration pour que la mémoire saisisse et recadre cette fugitive image qui correspondait sans doute à l’instant où une balle s’était frayé un chemin derrière son sternum, causant des dégâts irréparables dans les pompes, tuyaux et soufflets de son intérieur. Mais peut-être que tout cela était le fruit de mon imagination.

Survint une épidémie qui fit de nombreuses victimes à travers le monde. Aux soins intensifs où je fus amenée, mes signes vitaux s’éteignirent deux fois en l’espace d’un quart d’heure. J’appris ainsi que, dans les cas graves, je pouvais trépasser, ressusciter, retrépasser aussitôt et ressusciter derechef. On me considéra comme une miraculée.

C’était bien le cas, et deux fois plutôt qu’une.

Mourir alitée est plus pénible que mourir d’une balle dans un ventricule ou des conséquences d’une distraction au volant ; souffrir une longue agonie, je l’avais constaté, n’apporte pas plus de connaissance qu’un départ subit. Martine serait sans doute d’accord avec moi sur ce point. Voilà toute l’expertise que m’ont valu quatre décès. Nul savoir, nulle sagesse ne se trouvent donc au bout du chemin ?

J’ai déjà brûlé ou éteint quatre vies et je n’ai pas 25 ans. Je ne battrai aucun record de longévité, disposer de neuf vies équivaut à n’en avoir qu’une. Le fil du destin est d’un seul tenant, pour moi comme pour vous. Neuf vies, encore cinq résurrections, un seul récit, une seule héroïne…

J’aurais volontiers donné une des vies qui me restaient, ou même deux ou davantage, pour le plaisir de savoir Martine toujours vivante, près de moi ou ailleurs dans le monde. Mais voilà, ni la vie ni la mort ne se partagent.

Je me console en me disant que notre sang répandu sur le plancher s’était confondu en une seule nappe rouge. Nous sommes tombées ensemble et, d’une certaine façon, jamais cette coïncidence où la fatalité nous a réunies ne pourra être abolie.

Quant à la balle qui m’avait abattue, on ne l’a jamais retrouvée. Il faut croire qu’elle s’est escamotée avec ma résurrection. Autrement, si aucun projectile ne m’a jamais touchée, cette histoire tout entière devient une affabulation insensée..

jeudi 29 décembre 2022

En bout de ligne, la fin


Les premières lignes (sic) de ce qui allait devenir Ligne de grains datent du 29 décembre 2008, il y a douze ans. (Le 2007 imprimé sur certaines épreuves du roman doit être une erreur qui provient de la réutilisation d'un ancien document pour construire le fichier.) L'obligation d'entreprendre quelque chose m'était apparu en ces jours lointains comme une impérieuse nécessité. Le vide entre Noël et le nouvel an peut être fécond de résolutions qui engagent l'avenir. Si celle de les tenir figure en bonne place parmi toutes, évidemment.

Des manuscrits plus ou moins achevés traînaient dans mes tiroirs, des nouvelles, des romans avortés. (Les nouvelles, réunies sous le titre Grève des anges, ont paru en 2019 aux Éditions L'Interligne.)


Le bon titre s'est fait attendre : le manuscrit s'est brièvement intitulé Maison avant que je pense à Petite Mort puis à Post Meridiem (mêmes initiales). Mon choix s'est arrêté sur Ligne de grains et autres pépins. Les pépins allaient être balayés plus tard par le correcteur de ma maison d'édition qui n'aimait pas les titres à rallonge.

L'essentiel du roman était couché sur papier en 2009. J'en avais mis trop et il en manquait encore. J'y revenais par intermittence et par désespoir, ne pouvant me résoudre à l'abandonner, ne sachant comment boucler la dernière scène.

Le travail final, en 2016, a surtout consisté à couper dans les ramifications de l'intrigue. J'avais compris qu'il fallait canaliser l'inspiration et non pas la laisser s'irriguer à tous les ruisselets.

Il m'arrivait de paniquer en cours de relecture, « Ah, j'ai oublié un détail essentiel ! » pour découvrir quelques pages plus loin que le détail était là, à sa place et qu'il venait à son temps. Le mot « Fin », comme l'ultime pièce, scella l'unité du puzzle.

L'histoire n'était qu'un prétexte. Je voulais un regard sur les choses, la vie, les gens. Pour arriver à ce résultat, il me fallait demeurer à l'intérieur d'une tête d'emprunt, de préférence une caboche pas trop obtuse.

J'ai soumis le manuscrit à mon éditeur fin 2019. Il a été accepté en février 2020.

« Présenté comme la narration d’une jeune fille de dix-huit ans, caustique et délurée, le texte conquiert d’emblée. Le style est brillant, très drôle mais nourri également de réflexions intelligentes et originales sur la vie et la société. » (Rapport du comité de lecture.)


(Je n'ai aucun scrupule à publier les compliments qu'on m'adresse.)

Souligner l'anniversaire du manuscrit est une façon de mettre un point final à cette ligne égrenée sur douze ans.



Quatrième de couverture


Une « ligne de grains » est une bande d’orages à l’avant d’un front froid. Mais ça peut être toute autre chose.

Delphie, âgée de 18 ans, assiste au lancement du recueil Ligne de grains et tombe sous le charme de Pascale, la violoniste engagée pour l’occasion ; un écart de celle-ci hors de sa partition allume la suspicion d’une spectatrice. Tout se complique et se déglingue, les couples deviennent solubles et la folie tient la barre.

D’abord illustrateur, Henri Lessard s’est converti à la littérature. Il a publié le recueil de nouvelles Grève des anges à L’Interligne en 2019.


Grand merci aux Éditions L'Interligne et à leur équipe qui m'ont épaulé et qui ont accepté mes corrections jusqu'à la dernière minute.

samedi 10 décembre 2022

Tournoi des saisons


Gazon vs neige ; jusqu’ici, le gazon conserve sa large avance.

vendredi 9 décembre 2022

Regard en coin


Docteur, ma bibliothèque me surveille… C’est la pure vérité, docteur ! Docteur, vous me croyez ?… Docteur !?…

mercredi 7 décembre 2022

Parachute

Vue du ciel par parachute fermé.

L’esprit, comme un parachute, ne fonctionnerait qu’à la condition d’être ouvert.

C’est ce que l’on dit, c’est ce que j’entends.

Mais qui donc se balade avec un parachute ouvert ?

On les garde (les parachutes) bien repliés dans leur sac et on ne les ouvre (les sacs, et donc les parachutes) que dans des cas exceptionnels. Que feriez-vous d’un parachute sali et déchiré qui vous suivrait comme la traîne d’une mariée ivre ou égarée ?

Pliez votre cerveau avec grand soin avant de le ranger promptement. C’est ainsi qu’il ramassera le moins de poussière et qu’il conservera sa jolie teinte rose.

« Le cerveau est un organe inutile, je le déplore chaque jour ; que comprend-il de la réalité, ce circonvolu enfermé dans sa boîte crânienne, replié qu’il est comme une paire de chaussettes roulées au fond d’une bottine ? » (« Chronique des beaux jours », dans Grève des anges, p. 55.)

Henri Lessard, Grève des anges – Nouvelles. Les Éditions L’Interligne, Ottawa, coll. « Vertiges », 2019, 104 pages.

vendredi 25 novembre 2022

Fluctuat sed non curat (suite, avec du plus ancien)


L'ombre s'allonge ou se rétracte selon la profondeur de l'eau qui varie selon le va et vient des vagues. Parc Jacques-Cartier, Gatineau (Québec), 6  nov. 2021. Des vidéos plus récentes ont déjà été mises en ligne ici : lien.)

(Les vidéos sont de moi, sous le nom de Géo Gatineau.)





mercredi 23 novembre 2022

Héritiers


« Parmi les choses que les gens n’ont pas envie d’entendre, qu’ils ne veulent pas voir alors même qu’elles s’étalent sous leurs yeux, il y a celles-ci : que tous ces perfectionnements techniques, qui leur ont si bien simplifié la vie qu’il n’y reste presque plus rien de vivant, agencent quelque chose qui n’est déjà plus une civilisation ; que la barbarie jaillit comme de source de cette vie simplifiée, mécanisée, sans esprit ; et que parmi tous les résultats terrifiants de cette expérience de déshumanisation à laquelle ils se sont prêtés de si bon gré, le plus terrifiant est encore leur progéniture, parce que c’est celui qui en somme ratifie tous les autres. C’est pourquoi, quand le citoyen-écologiste prétend poser la question la plus dérangeante en demandant : “Quel monde allons-nous laisser à nos enfants ?” il évite de poser cette autre question, réellement inquiétante : “À quels enfants allons-nous laisser le monde ?” » (Jaime Semprun, 1997, cité par Natacha Polony dans Marianne, 20221123.)

dimanche 20 novembre 2022

Fluctuat, sed non curat



L'ombre s'allonge ou se rétracte selon la profondeur de l'eau qui varie selon le va et vient des vagues. Parc Jacques-Cartier, Gatineau (Québec), 4 nov. 2022.

(Les vidéos sont de moi, sous le nom de Géo Gatineau.)


samedi 5 novembre 2022

Heure reculée


Si je comprends bien, tout le monde devra reculer pendant une heure cette nuit en faisant bip, bip, bip ?...

Drôle de jeu. On aura quelle mine dimanche matin ?


vendredi 21 octobre 2022

F...



AFFairée, eFFarée, eFFrayée, parFois eFFleurée par la Félicité (ouF !)...

FieFFés Forcenés de père en Fils*, dès le Fututum** Fécondateur initial, notre Filandreuse Fie, pardon, Vie, est placée sous l’emprise de la lettre F.

Je vous l'aFFirme : Fuyez, Futuimur*** !

* Et Filles.
** Forme du verbe Futuere, F... en latin. Vous n’attendiez pas de gros mots ici, non, Fichus Fanfarons ?
*** Nous sommes b..., nous sommes F... en latin. Fraiment, n'espérez pas de fulgarité de ma Faconde, Filous Fallacieux !

jeudi 20 octobre 2022

Ligne de grains : recension



En librairie : 15 juin 2022
Titre : Ligne de grains. Roman
Auteur : Henri Lessard
Les Éditions L’Interligne, Ottawa
Collection « Vertiges »
ISBN 978-2-89699-744-2
communication@interligne.ca
interligne.ca
Autres billets consacrés à Ligne de grains (lien).


Quelques mots de l’auteur Jean-Louis Grosmaire sur mon roman Ligne de grains paru cet été aux Éditions L'InterligneJean-Louis lit beaucoup, je suis impressionné (et légèrement humilié) par sa voracité et sa grande capacité à rendre compte de ses lectures. Comparé à lui, je suis un lecteur anorexique et un commentateur aboulique…

Voici le LIEN vers le blogue de Jean-Louis : il faut se rendre au texte du 20 octobre 2022.

Un extrait :
« Tout d’abord, le style. C’est un style pétillant, qui enchante la lecture.
L’auteur avance en touches légères, il suggère, il conduit à la réflexion. Il glisse de petites remarques qui sont très profondes. » (J.-L. Grosmaire)
D’autres billets sur Ligne de grains dans le blogue sont disponibles ICI.

Bonne)s) lecture(s) !

mercredi 19 octobre 2022

Cohen vs Castafiore


« La cantatrice s'éta[i]t soudain mise à barytonner ce qu'était l'amour puis à le mugir avec une mélancolie massive comme si elle allait vomir. » (Albert Cohen, Belle du Seigneur, coll. « Folio », no 3039, p. 839.)

Ce Cohen est un rustre qui déprécie tous les arts dans ses livres (peinture, littérature, musique, etc.), mais, parfois, il vise juste.


Une impossibilité


Vieillir sans devenir misanthrope.

Bravo !


Tenir un blogue, c'est comme se masturber à côté d'une belle femme endormie. Il ne faut pas espérer de félicitations.

Néologisme


Je lui ai demandé de cesser ses gémignardises.

lundi 17 octobre 2022

Concision

Concision

Mon rêve : rédiger un texte aussi rapide à composer qu'à lire. C'est fait.

Lecture
Le texte qui n'a pas besoin d'être lu a-t-il déjà été écrit ?

Calibrage
L'idéal serait un texte dont la fin coïnciderait avec celle de la capacité d'attention du lect


Billet paru dans ce blogue le 28 déc. 2009.

jeudi 13 octobre 2022

Je ne vise personne...


Ces petits-bourgeois satisfaits qui compostent même leurs pets et qui n'aiment rien tant qu'exhiber leur bien-pensance.

jeudi 6 octobre 2022

Distractions


Entrevue avec un écrivain entendue à la radio dans les années 1980 :

« Les gens aujourd’hui ne se rendent pas compte. Ils ont mille moyens de se distraire. Autrefois, les gens s’ennuyaient ferme, la vie les forçait à se confronter à

leur insignifiance durant de longues heures. Les distractions nous épargnent cette épreuve. »

L’auteur parlait, si je me souviens bien, des dimanches de son enfance dans le gris Paris des années 1930 où il lui arrivait de s'ennuyer comme une pierre. Je reprends ses propos de mémoire et, comme il m’avaient marqué à l’époque, je pense être fidèle à leur sens à défaut d’être certain du mot à mot. Comme il serait malséant de présenter une paraphrase pour une citation, je préfère taire le nom de l’auteur.



Billet paru le 6 oct. 2022 dans mon autre blogue, Propos hors propos.

vendredi 30 septembre 2022

Barbara Floraque – Fabula


Barbara ad cauponam laboratum it.

Flora, Barbarae amica, in Florida ut hibernet est. Illa ad Barbaram postales cartas ostentantes et oras flavis arenis et claros caelos clara caela et caeruleum mare mittit – nam si multum multae orae et multum caeli multa caela in Florida sunt, unum mare tantum est.

Barbara ut ornet cubiculi sui parietes his imaginibus utitur. Flora Barbarae negotium dedit curandi suum felem cuius nomen Félix est, sicut clarus cantor Quebecensis appellavitur, etsi feles non possunt cantare. Nam sicut omnes sciunt, feles maumant.

Barbara quotidie pro ipsa et pro Felice obsonat. Secundum laborem ea ad aedes suam currit ilico et Felicem alit.

Felix Flora est qui amica fidele tale quae amica fideli tali Barbara potest utor !


* * *

Corrigite me si errares sunt ! Gratias vobis ago.

Ajout (15 nov. 2022)

Plurimum gratias ago @Calculensis quae errores meos correxit.

vendredi 16 septembre 2022

Lectures d’été – Marc-Aurèle (2)


« La plupart de nos paroles et de nos actions n’étant pas nécessaires, les supprimer est s’assurer plus de loisir et de tranquillité. » (Marc-Aurèle, philosophe et empereur romain – et vice versa, Pensées pour moi-même, IV,24, trad. M. Meunier)

S’assurer plus de loisir au profit d’autres paroles et d’autres actes tout aussi inutiles ? Les philosophes sont parfois inconséquents.


Billet paru le 16 sept. 2022 dans mon autre blogue, Propos hors propos.

samedi 3 septembre 2022


Certains livres voudraient nous enjôler. D’autres nous assomment dès les premières lignes.

Début du Livre de ma mère, d’Albert Cohen :




Billet paru le 3 sept. 2022 dans mon autre blogue, Propos hors propos.

vendredi 26 août 2022

Une année julienne : élusive Mélusine

Nouvelle extraite de mon recueil Une année julienne suivi de Perséphone

ISBN 978-2-9821444-0-8 (PDF)

Dépôt légal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2023

Mon recueil Une année julienne suivi de Perséphone est paru en mai dernier en version numérique (pdf). Il est disponible auprès de l’auteur (moi) sur demande et de BAnQ (Bibliothèque et Archives nationales du Québec) au bout de ce lien. Relisez les autres billets consacrés au recueil pour en savoir plus et ou pour savourer d'autres extraits (lien).







Le recueil déposé à CopyrightDepot.com et à la SARTEC :
© Henri Lessard, CopyrightDepot.com no 00072068
© Copyright Henri Lessard, manuscrit déposé à la SARTEC le 21 mai 2021, certificat no 34490.

* * *

Élusive Mélusine

Note. – JULIEN, l’un des protagonistes principales du recueil avec JULIANN,E est le narrateur de la présente histoire.


Cétait au début du semestre, pendant un exposé sur la mythologie médiévale. Son entrée dans la classe avait échappé à mon attention et voilà qu’elle s’était installée à ma gauche, deux pupitres devant le mien. Elle se faufila entre les étudiants à la fin de la période et elle ne revint pas assister aux cours suivants. Je l’aurais sans doute oubliée si je ne l’avais pas devinée quelques jours plus tard dans une silhouette au parc, près de la rivière. Elle avait surgi, de l’autre côté des herbes qui poussent au creux d’une anse. Pour un peu, j’aurais juré qu’elle venait de surgir de l’onde. J’étais pressé, et je poursuivis mon chemin sans m’attarder à résoudre la question.

Le lendemain, je l’aperçue près de la fontaine d’une place publique. Puis, je la vis un soir alors qu’elle sortait d’un restaurant de fruits de mer. Le hasard s’amusa bientôt à multiplier les rencontres tout en veillant à ne jamais répéter les circonstances. Elle prenait une tisane à la terrasse d’un café, patientait devant l’aquarium en verre d’un abribus ou manquait de me tomber dans les bras au milieu d’une place et, entrainée par je ne sais quel courant, disparaissait aussitôt, absorbée par la presse. Ses yeux vert-de-gris étaient tachetés de paillettes de cuivre. Elle était partout, un endroit à la fois, et jamais deux fois au même.

Cette fille était un cas unique d’ubiquité émiettée. Blonde, début vingtaine, taille moyenne ; jolie, assurément ; intéressante, incontestablement, sans rien d’excentrique, rien d’une qui chercherait à se faire remarquer. J’aimais ses jupes fripées, sa manière à la fois stricte et distraite de n’accorder d’attention à quiconque ou quoi que ce soit autour d’elle. Souvent, je la repérais de loin à la conque bleu marin de son parapluie – les jours d’intempéries semblaient l’attirer dehors. Même au soleil, j’avais l’impression qu’elle sortait tout juste de la douche, cheveux encore humides, et qu’il lui suffirait de secouer la tête pour m’asperger d’une bruine de gouttelettes irisées.

À force de me croiser et de me recroiser, elle devait bien commencer à me connaître et à me reconnaître, en tout cas à m’accorder le rôle d’un quelconque figurant dans le feuilleton de sa vie quotidienne. Mais non, je n’existais pas pour elle. Elle allait toujours seule et semblait n’être appelée par aucune obligation pressante.

Le département des arts de l’université organisa une exposition des travaux du semestre et je la découvris dans des crayonnés rehaussés à l’aquarelle du cours de dessin d’après modèle. Elle en offrait à d’autres beaucoup plus qu’à moi ; je me suis dit que j’avais réussi à bien deviner sa nudité sous ses vêtements. Certaines filles vont nues dans nos têtes ; une démarche, un visage, et tout est révélé, leur essence et l’enveloppe qui la contient. Je m’attardai devant une esquisse avancée où elle figurait debout, visage tourné de profil, nuque libérée de sa chevelure soulevée d’une main. Un peintre pompier du XIXe siècle aurait ajouté une coquille sous ses pieds et titré : Naissance de Vénus. (La beauté est un gaspillage. Toujours présente, et pourquoi ? Pour rien la plupart du temps. Si la nature était conséquente, les femmes ne connaîtraient que les caresses continuelles réclamées par leur beauté perpétuelle. Cette fille ne cessait pas d’être belle même en dormant, même dans le noir, même à l’écart de tous, non ? Gaspillage ! Gaspillage, vous dis-je !)

Une inscription précisait le nom du modèle : « Mélusine ».

Elle s’appelait donc Mélusine (1).

Mais était-ce vraiment elle sur le papier ? À force de l’apercevoir partout, j’avais peut-être fini par plaquer sa figure sur toutes les filles, figurées ou réelles, sur lesquelles se posaient mes yeux.

Il me vint à l’esprit que la meilleure façon d’aborder cette Mélusine plus insaisissable qu’une anguille, était de suivre son exemple, de n’avoir aucune routine et de systématiquement rechercher des endroits inédits à visiter. Quand toutes les possibilités de rencontres auraient été épuisées – les chutes du Niagara, la sphère d’un bathyscaphe, le sauna d’un club échangiste – disparaîtrait-elle à jamais de ma vie ou est-ce que la tournée reprendrait du début comme dans le jeu serpents et échelles ? Ce serait m’assurer l’immortalité dans la frustration perpétuelle, me condamner, comme Tantale, à une soif jamais satisfaite… Quelque chose me disait que, dès la création du monde, peu après la séparation de la terre et des eaux, l’opportunité d’un tête-à-tête, d’une banale conversation sur la météo, d’un badinage anodin avec elle m’avait été refusée.

J’en viens à me demander si elle n’apparaissait et ne disparaissait pas que pour moi. Une bien élusive Mélusine que cette Mélusine !

Mais il y avait d’autres filles dans le monde, moins fuyantes. Je fis la connaissance de Béatrice. (Il ne vient à moi que des filles au prénom qui porte à rêver. Un don qui, la plupart du temps, ne me rapporte aucun bénéfice.) Mélusine, pour un temps, s’éclipsa de ma vie. Je tombai pourtant sur elle un matin au centre-ville ; pour la première fois, elle sembla tenir compte de mon existence ; un filet de contrariété coula sur sa figure depuis un pli vertical qui s’imprima entre ses sourcils et elle m’ignora ostensiblement – ce qui était un progrès comparé à l’indifférence dont elle ne s’était jamais départie. Je suppose ici que mon imagination ne m’a pas joué un tour. Mélusine, ce jour-là, ruminait peut-être quelque souci et allez donc vous fier à une expression pêchée à la volée !

L’après-midi m’offrit une occasion de me libérer des rets de cette obsession dans les bras de Béatrice. Ses mèches brunes prirent sous mes doigts la couleur dorée de la chevelure de Mélusine ; c’est entre les seins de Mélusine que j’enfouis ma tête ; ce fut son vagin humide que je pénétrai et, à la fin, ce furent les prunelles de Mélusine qui se révulsèrent.

Puis, le double jeu des spasmes en parallèle terminé, c’est auprès de Béatrice que je m’étendis, navré de mon infidélité. Mais je n’y étais pour rien et je perdais sur tous les tableaux puisqu’en perdant Béatrice, j’avais baisé une illusion.

Les choses ne pouvaient pas continuer ainsi. Puisqu’une rencontre annihilerait toute possibilité d’intimité future, réelle ou fantasmée – du moins, c’est ce que j’avais toujours cru –, j’étais déterminé à confronter Mélusine.

Le lendemain, il bruinait. Mélusine – j’étais certain qu’elle ne se déroberait pas – attendait le feu vert pour traverser un carrefour au milieu de fonctionnaires et d’employés.

Je soulevai mon parapluie pour nous mettre tous les deux à couvert du crachin ; Mélusine gardait le sien fermé sous son bras.

— J’aimerais bien pouvoir faire l’amour à Béatrice en paix, lui dis-je.

Elle tourna vers moi ce regard définitif que les femmes savent si bien adresser aux hommes. Les feux de circulation ayant changé, elle traversa le boulevard pour se noyer dans le flux et le reflux des piétons. Demeuré en rade sur le trottoir, je cherchai sa chevelure blonde au milieu des têtes et des parapluies qui s’ouvraient tandis que la pluie s’intensifiait. Une fraction de seconde, je cru apercevoir la coupole de son parapluie émerger dans le flot qui l’emportait. Mais non, je m’étais trompé.

Plus jamais je ne la revis.

*

1. Mélusine : sorte de sirène fluviale, ensorceleuse et séductrice. Personnage sympathique, donc.

lundi 22 août 2022

Rumeur


Le murmure de la ville entre par la fenêtre. Certains s’en agaceraient.

Le même bruissement continu, le même soupir, la même rumeur sans début ni fin, brouillé et réverbéré par on ne sait quoi. On devine des distances, des espaces, des étendues. C’est un souffle qui s’impose par sa discrétion, un bourdonnement tamisé par le filtre des poussières qui blanchissent l’horizon. Survient un ronflement, vite passé, le branlement d’une cargaison, l’accélération d’une voiture dont l’impatience s’estompe dans l’air. Après l’appel d’un klaxon, le fond sonore redevient ce qu’il était, transparent, impalpable, pareil à lui-même, juste assez modulé pour se perdre dans sa propre substance. Il est perçu plutôt que saisi, il ne se tait ni de jour ni de nuit. Il n’est chargé d’aucun message.

Ma conscience se bornerait à cette tonalité grise et lointaine qu’elle ne s’en porterait que mieux.



Billet paru le 22 août 2022 dans mon autre blogue, Propos hors propos.

jeudi 28 juillet 2022

Lectures d’été – Marc-Aurèle (1)


« [Untel] ne t’a point nui, car il n’a pas pu rendre ton moi pire qu’il n’était auparavant. » (Marc-Aurèle, philosophe et empereur romain – et vice versa, Pensées pour moi-même, VIII,22)


Billet paru le 28 juillet 2022 dans mon autre blogue, Propos hors propos.

Lectures d’été – Les caves du Vatican


Les avis des lecteurs sont parfois lapidaires. Un certain George Ranger a exprimé en peu de mots son opinion sur Les caves du Vatican, d’André Gide, à la page 128 de son exemplaire. Faut-il éviter d’inscrire son nom sur la page de garde des livres si l’on ne veut pas que la postérité s’empare de nos avis littéraires ?



M. Ranger a inscrit son nom au début du livre, avec la date de son acquisition, le 17/10/1972. J’ai trouvé l’exemplaire, passablement défraîchi, chez un bouquiniste en juin 2019 et je n’en ai commencé la lecture que maintenant. (Photo suivante.)





Billet paru le 28 juillet 2022 dans mon autre blogue, Propos hors propos.

mardi 19 juillet 2022

Une année julienne : origami amoureux

Nouvelle extraite de mon recueil Une année julienne suivi de Perséphone


ISBN 978-2-9821444-0-8 (PDF)

Dépôt légal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2023

Mon recueil Une année julienne suivi de Perséphone est paru en mai dernier en version numérique (pdf). Il est disponible auprès de l’auteur (moi) sur demande et de BAnQ (Bibliothèque et Archives nationales du Québec) au bout de ce lien. Relisez les autres billets consacrés au recueil pour en savoir plus et ou pour savourer d'autres extraits (lien).







Le recueil déposé à CopyrightDepot.com et à la SARTEC :
© Henri Lessard, CopyrightDepot.com no 00072068
© Copyright Henri Lessard, manuscrit déposé à la SARTEC le 21 mai 2021, certificat no 34490.

* * *

Origami amoureux

Note. – JULIEN, l’un des protagonistes principales du recueil avec JULIANNE, est le narrateur de la présente histoire.


L’écrivain Georges Simenon (1903-1989) s’est déjà vanté d’avoir « connu » 10 000 femmes. Pour en arriver à ce montant – trop carré pour n’avoir pas été arrondi, mais passons – il faut que peu d’entre elles, sinon aucune, n’ait voulu coucher avec lui une seconde fois.


Je te retiens à déjeuner ? On pourra faire connaissance…

L’humour, c’est comme le tir à l’arc : le risque est grand pour le tireur maladroit de rater la cible et de se pincer lui-même avec la corde.

Elle s’arrêta sur le seuil de la cuisine. Son t-shirt orangé, coupé deux tailles trop grandes, lui faisait une sorte de cloche informe. Comment interpréter son mutisme ? Elle baîlla. J’excluais les hypothèses les plus pessimistes : les gens de méchante humeur agissent avec moins de nonchalance. Le col du t-shirt avait bâillé (lui aussi) quand elle s’était penchée pour s’asseoir à la table. Tapi dans l’ombre teintée de safran, un sein avait pointé le museau comme pour humer l’air du dehors, hésitant à sauter le rebord pour apparaître au grand jour.

— Si tu ne me mets pas à la porte, dit-elle, je reste. Surtout si tu me sers le café.

Elle se tortilla sur sa chaise pour étirer le t-shirt sur ses cuisses, secoua la tête ; hier soir, alors qu’elle s’inclinait sur moi, ses lèvres avaient flotté, suspendues, comme le sourire d’une korè perdu dans la masse de cheveux blonds et roux qui lui masquaient le visage.

— Si tu t’en vas, je vais penser à toi et ça risque de devenir une obsession. Si tu restes, je devrais m’accommoder de ta présence…

— Je vais m’incruster pour que tu ne t’attaches pas, dit-elle. Il ne faudrait pas que tu prennes un mauvais pli avec moi.

Elle souffla sur son café, prit un croissant. Elle était gauchère, je ne le remarquais que maintenant. C’était donc ça. Je n’étais jamais passé entre les mains d’une gauchère. Les caresses, les gestes, n’étaient pas les mêmes. L’espèce d’étourdissement qui me tenait, le sentiment dissolvant qui ne me lâchait pas, ce petit pli au cœur – puisqu’il était question de pli – ce n’était que l’effet de la nouveauté, de la désorientation ?

Heureusement, certaines parties du corps humain sont uniques et ne sont pas affectées par le dilemme gauche-droite ; le sexe, par exemple, est exactement dans la pliure longitudinale du corps.

— Tu ne manges pas ? m’interrogea-t-elle à travers les volutes qui montaient de sa tasse de café maintenue à la hauteur de ses lèvres.

— Il y a toujours plus d’avant et d’après que de pendant…, dis-je.

Elle fronça les sourcils. Un exposé philosophique, à huit heures du matin ?

— Ça vaut pour le sexe et pour un tas d’autres choses, dis-je encore. L’attente, l’anticipation et la remémoration, qui entretient elle-même une nouvelle anticipation, prennent plus de place que l’acte même.

— Et présentement, nous sommes…

— Moi, je suis dans la remémoration et l’anticipation tout à la fois, ou peut-être l’espérance. Toi, je ne sais pas où tu en es.

Si le cœur et le sexe étaient alignés, une seule pliure en viendrait à bout. Au lieu, le cœur avait fait un petit pas de côté, et s’était mis à l’écart, à gauche. Résultat, j’avais deux plis distincts : un au cœur, un autre au sexe. C’était trop pour un seul homme, j’étais fait…,

Son sourire de la veille lui revenait ; sourire gourmand, tout à l’instant présent.

… j’étais fait, qu’elle reste ou qu’elle parte, les choses étaient pliées pour moi. Elle éplucha une orange ; ses doigts agiles (vive les gauchères !) découpaient l’écorce et séparaient les quartiers. Le vert de son vernis à ongles jurait avec la couleur du fruit et ce contraste me faisait venir un goût acidulé à la bouche. Elle aspira les quartiers un à un. Moi, j’aurais plutôt mordu dans ses lèvres.

Son pied nu frôla mes jambes, s’immisça entre mes cuisses, écarta les pans de ma robe de chambre, puis se retira.

— Tu bandes, dit-elle. Anticipation ou remémoration ?

Elle contourna la table pour venir s’asseoir sur mes genoux.

— Tu veux un quartier d’orange ?

Elle me fourra la moitié d’un quartier entre les lèvres. Le suc de la pulpe s’écoula sous la double morsure. Je fis passer son t-shirt par-dessus tête ; sa chevelure s’épanouit en désordre, soulevée par le passage du collet. Les filles ne sont complètes que toutes nues ; les vêtements les découpent en parties indépendantes, exposées ou cachées, et la nudité rétablit l’unité, tant pour les yeux que pour les mains.

— Une petite vite pour que Monsieur ait de quoi se remémorer ?…

Nous nous étions déjà beaucoup pliés l’un dans l’autre, la nuit passée. Une sorte d’origami amoureux dont la séquence de pliures et de dépliures était vieille comme le monde. Les bras autour de mon cou, elle se redressa ; ses lèvres flottaient dans la masse de cheveux qui lui masquaient le visage ; puis, elle replia les genoux pour permettre à mon sexe de pénétrer dans l’axe longitudinal de son corps.

*

De l’origami, amoureux ou pas, elle avait surtout retenu la recette des avions en papier, ou celle des petits bateaux qui s’en vont au fil de l’eau. Elle ne s’incrusta pas longtemps : elle s’éclipsa, sans revenir, peu après une ultime séance d’origami en duo. Elle était du genre à craindre de prendre un mauvais pli en restant trop longtemps avec le même gars. Comme tous les problèmes de couple proviennent non pas de la découverte, mais de l’accoutumance, jamais nous ne déchanterions ensemble.

Je conserve depuis un petit pincement, côté gauche, sur le pli du cœur. Et l’« après » s’allonge beaucoup trop quand il ne devient jamais un « avant ».

lundi 18 juillet 2022

My Cup Of Tea


Cest pas mon pichet, mon bock, ma chope de bière, ma coupe de vin, mon godet de gin, ma flûte de champagne, mon verre à boire, mon bol de café, mon cornet de frites, mon gobelet de lait, ma cuillère de sirop, mon thermo de Bovril, mon berlingot de crème, ma gourde, ma poire en cas de soif…

Bref, c’est pas ma tasse de thé.


Billet paru le 18 juillet 2022 dans mon autre blogue, Propos hors propos.

jeudi 14 juillet 2022

Constat


Finalement, cinq minutes de réflexion lucide n’apportent pas plus de lumière que vingt ans de ruminations moroses. Je le sais, j’ai essayé.


Billet paru le 14 juillet 2022 dans mon autre blogue, Propos hors propos.

Classiques classés


Cédric Pignat (@CcPignat) a publié le 12 juillet dernier dans Twitter une liste de classiques de la littérature en interchangeant titres et auteurs (image). Plusieurs twitteurs sont entrés dans la partie (outre les distraits qui n’y ont vu que du feu et les bien intentionnés qui lui ont signalé ses erreurs) et leurs propositions loufoques n’ont pas tardé à s’accumuler. Je reproduis ici les miennes (publiées sous le compte @HLessard7), augmentées de quelques entrées nouvelles. Le jeu n’a pas de fin, je compte bien revenir ici pour enrichir ma liste. (Tous les titres qui la composent sont authentiques.)

Vos propositions ?


Mes classiques


Le nez (Camus)

Les chants de Maldoror (Céline 1)

1. – Dion, évidemment.

L’adieu aux armes (Stéphane Mallarmé)

Le Robert (Alain)

Le Petit Larousse (Le Grand Robert)

Astérix le Gaulois (Jules César)

L’Odyssée (Lilly Ade)

Brisure à senestre (Sylvain Tesson)

La littérature à l’estomac (Ricardo Larrivée)

La transparence des choses (Uber Files)

Les Évangiles (collectif, sous la direction de Saint-Esprit)

451 Farenheit (Météo nationale française 2)

2. – Lors de la canicule de juillet 2022.

À l’ouest rien de nouveau, chez Actes Sud

Les écureuils de Central Park sont tristes le lundi (Pierre Ambroise François Choderlos de Laclos)

Critique de la raison pure (Emmanuel Kant 3)

3. – Qui d’autre aurait pu l’écrire ?

Le médecin malgré lui (Didier Raoult)

La guerre de Troie n’aura pas lieu (Vladimir Poutine)

Voyage au bout de la nuit (Homère 4)

4. – Y a une astuce.

Le sein (Uber 5)

5. – Y a une astuce.

Les travaileurs de la mer (Moby Dick)

Histoires extraordinaires et Nouvelles histoires extraordinaires (un complotiste)

L’Âne Culotte (Alain Juppé)

La disparition (Donald Trump 6)

6. – Hélas, non.

Le Petit Chose (quelqu’un, j’sais plus qui)

Les trois mousquetaires (La Bande des Quatre)

Trois contes (Les Trois Mousquetaires)


Billet paru le 14 juillet 2022 dans mon autre blogue, Propos hors propos.

lundi 4 juillet 2022

Tautologie



Attendre pour cesser d’attendre, c’est pas un peu tautologique ?


Billet paru le 4 juillet 2022 dans mon autre blogue, Propos hors propos.

Lectures d’été – Pessoa


Jai échangé avec une amie un Schopenhauer contre un Pessoa. Un désespéré tonifiant contre un désespéré qu’on a envie d’achever. Je me suis fait avoir.

Le livre de l’intranquilité de Pessoa : journal d’un gars à qui le fait de ne jamais penser au sexe permet d’entrevoir le vide de l’existence. Bon, je n’ai lu qu’une quarantaine de pages du tome III, le reste est peut-être différent.




Comme c’est un exemplaire emprunté, je n’ose pas griffonner au crayon dans les marges ou souligner des passages. Alors, j’ai découpé mes post-it en minces lamelles pour les multiplier et je crains quand même d’en manquer. Me donner tant de mal pour un auteur si aboulique… (Photo.)

Réflexion personnellle. – Tout texte est une parenthèse qui demande à être fermée sous peine de s’écouler en une poutine informe. D’où ma prédilection pour les auteurs concis et mon agacement devant les effuseurs qui se plaisent à méandrer jusqu’à la dernière goutte d’encre. Je ne nomme personne.

Malgré mes réserves et mon agacement, je trouve que Pessoa dit souvent des choses très justes, sinon intéressantes :

« La métaphysique m'a toujours paru être un prolongement de la folie latente. Si nous connaissions la vérité, nous la verrions, et le reste n'est que système et fioritures. Si nous y réfléchissons, il nous suffit de constater l'incompréhensibilité de l'univers ; vouloir le comprendre, c'est être moins qu'un homme, car être homme, c'est savoir qu'on ne peut comprendre l'univers. » (Pessoa, Le livre de l’intranquilité - tome III, p. 238.)

Ajout (9 juillet 2022)

Pessoa réalise l’illustration parfaite du solipsisme : « Je suis un ascète dans la religion de moi-même. » Il lui manque une fenêtre. Paradoxalement, il ne reste enfermé dans son petit moi que pour douter de son existence, réussissant l’exploit d’être un égocentrique sans égo. Les quelques mouvements lyriques qu’il s’autorise dans la description des paysages et de la lumière du ciel allument ici et là quelque espoir chez le lecteur. Autant de déceptions, l’horizon se rétrécit aussitôt à la mesure de Pessoa.

Pour ma part, je suis trop distrait, trop superficiel. Comparé à Pessoa, je suis un égocentrique peu conséquent qui s’amuse de tout ce qui passe devant mes yeux. Et comme moi, je ne passe pas et que je dure, il m’arrive de me trouver pénible au milieu du bariolage du monde.

Mais il faut être naïf pour lire les livres avec attention. Qui fait ça, sauf moi et quelques hurluberlus ?

Ajouts, suite à la lecture de l’édition intégrale de l’œuvre (14 mai 2023)

Quelques lignes tirées du Livre de l’intranquilité qui m’ont semblé illustrer mon point de vue. (Édition intégrale augmentée, même traductrice : Françoise Laye, même éditeur : Christian Bourgeois Éditeur, 1999).

Qui donc me sauvera d’exister ?
Je gis ma vie.
F.P. (1)

Autobiographie sans événements (2)

[…] et remarquons bien qu’il n’y a pas, chez Omar Khayyam, le moindre signe d’énergie, la moindre phrase d’amour (3).

[…] il monte de ces pages […] une impression désertique de monotonie (4).

1. Exergue au Livre de l’Intranquilité.
2. Sous-titre du Livre de l’Intranquilité.
3. Fragm. no 446, p. 454 : on pourrait en dire autant de Pessoa…
4. Fragm. no 442, p. 450 : Pessoa, à propos de son propre livre.


Billet paru le 4 juillet 2022 dans mon autre blogue, Propos hors propos.

samedi 2 juillet 2022

Amor ipsi


On parle souvent de la nécessité de s’aimer soi-même comme si c’était quelque chose qui devrait présider tout naturellement à nos vies. En fait, la vérité est que les gens ne s’aiment pas. Personne ne s’aime. L’instinct de conservation fait illusion ici. On tient à sa peau, sans grand amour pour soi-même. La vanité, qui n’est pas non plus de l’amour de soi, a mauvaise presse, à tort. Elle n’est que la sensibilité attentive aux variations (à la hausse ou à la baisse) de notre position sociale. 

Les enfants dans la cour de l’école le savent bien. Celui qui se laisse moquer signale qu’il peut être impunément ridiculisé et se retrouve au bas de la hiérarchie. Il faut donc casser la figure de celui qui se moque de nous (et qui se récrie à ces mots ne comprend rien à la nature humaine). L'individu maladroit, brusque ou désagréable ignore qu'il faut (se) masquer le jeu de ses instincts - qui, eux, jouent un jeu sérieux et ne blaguent pas.

« … l’injonction qui consiste à aimer autrui comme soi-même […] est trop contraire à la nature humaine pour être sincèrement obéie par le vulgaire, qui n’aimera jamais que soi, et ne convient nullement au sage, qui ne s’aime pas particulièrement soi-même. » Marguerite Yourcenar, Mémoires d’Hadrien, 1958, Gallimard, coll. « Folio », no 921, p. 240.

En cherchant au fond de soi, on trouve peu de raison de s’aimer. Il n’y a d’ailleurs aucun fond à la nature humaine ; comme la cible qui ne se laisse jamais toucher parce qu’il reste toujours une moitié du trajet à franchir avant de l’atteindre, notre fond est inaccessible – en plus d’être illusoire. Parce qu’il fait noir au fond de nous on imagine qu’on y verrait s’il y avait de la lumière ; la lumière s’épuiserait à atteindre les limites de ce vide. Mis à part nos instincts, réflexes, habiletés, que sommes-nous ? Les autres me donnent une impression convaincante de réalité ; pour moi-même, le scepticisme me semble de mise.

« L’homme parfait, chez les païens, était la perfection de l’homme tel qu’il est ; l’homme parfait des chrétiens, la perfection de l’homme tel qu’il n’est pas ; l’homme parfait des bouddhistes, la perfection d’un état où il n’y a pas d’homme. » Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquilité, trad. Françoise Laye, Christian Bourgeois éditeur, 1988, fragment no 134, p. 230.

L’amour de soi, devoir imposé à une humanité telle qu’elle ne sera jamais.

jeudi 30 juin 2022

To do or not to do



Shakespeare avait une armée de chimpanzés enchaînés à des claviers. Chaque année, il y avait une pièce à sauver entre les feuillets illisibles et froissés qu’ils avaient produits. Moi, je n’ai qu’un clavier et six doigts (je n’utilise ni le petit ni l’auriculaire et les pouces ne servent qu’à la barre d’espacement) pour écrire. Bon an mal an, j’arrive à produire quelques miettes passables. On fait ce qu’on peut avec ce qu’on a.


Billet paru le 30 juin 2022 dans mon autre blogue, Propos hors propos.

mardi 28 juin 2022

Eheu !


Eheu, non iam columbae in bracchiis Veneris se ponere poterunt. Triste hoc est.


Billet paru le 28 juin 2022 dans mon autre blogue, Propos hors propos.

lundi 27 juin 2022

Canicule



Envie de rien. Je sors pour avoir une raison de rentrer chez moi.


Billet paru le 27 juin 2022 dans mon autre blogue, Propos hors propos.

dimanche 12 juin 2022

Parapluie et paradoxe


Cet après-midi un passant m'a demandé pourquoi je ne promenais avec mon parapluie ouvert alors que la pluie avait cessé. « Pour que le vent le sèche », que je lui ai dit.

Les gens sont vraiment bizarres.

Ligne de grains, parapluies et test de la page 99

Préparez vos parapluies. Ligne de grains sort le 15 juin, et non le 8, on ne peut pas se fier à la météo (1). Ou, plus sagement, réservez une plage-horaire pour la lecture de ce ténébreux et lumineux roman tout en demi-teinte.

(1) Une « ligne de grains » est une bande d’orages à l’avant d’un front froid. Mais ça peut être toute autre chose.

 

Page 99

Le Test de la page 99 est la mise en pratique d’une théorie avancée par l’écrivain anglais Ford Madox Ford selon laquelle la lecture de la seule page 99 d’un roman donnerait une juste idée de l’intérêt du livre entier. (Voir Wikiki, l’encyclopédie de ceux qui ne cherchent pas plus loin.)

Qu’est-ce que cette théorie donne appliquée au roman Ligne de grains ? Et si la page 99 était une page blanche ?

Ligne de grains est publiée par Les Éditions L’Interligne.

En librairie : 8 15 juin 2022

Auteur : Henri Lessard
Collection : « Vertiges »
Les Éditions L’Interligne, Ottawa
200 pages.
ISBN 978-2-89699-744-2
communication@interligne.ca
interligne.ca

Voir mon précédent livre, le recueil de nouvelles Grève des anges (2019). 



Parapluie et Ligne de grains


Préparez vos parapluies. Ligne de grains sort le 15 juin, et non le 8, on ne peut plus se fier à la météo (1). Ou, plus sagement, réservez une plage-horaire pour la lecture de ce ténébreux et lumineux roman tout en demi-teinte.

(1) Une « ligne de grains » est une bande d’orages à l’avant d’un front froid. Mais ça peut être toute autre chose.

Et puisque il sort le 15, voici en primeur la page 15. (Non, le roman ne pas de Leonardo, da Vinci ou DiCaprio.) Le hasard a fait que la page 15 est justement la première du roman.

Ligne de grains - roman
En librairie : 8 15 juin 2022
Auteur : Henri Lessard
Collection : « Vertiges »
Les Éditions L’Interligne, Ottawa
200 pages
ISBN 978-2-89699-744-2
communication@interligne.ca

Voir ausi mon précédent livre, le recueil de nouvelles Grève des anges (2019).

Ligne de grains, page 15