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Balourd 10, que ne rebute pas l'emploi de l'encre sympathique, n'entretient pas pour autant la phobie de la page blanche. (Une encre sympathique devient invisible en séch

lundi 29 mai 2023

Une année julienne suivi de Perséphone


Disponible (pdf de 158 pages) directement auprès de l’auteur ou tout aussi directement sinon plus à BANQ.

Une année julienne suivi de Perséphone, nouvelles

Henri Lessard, auteur et éditeur


ISBN 978-2-9821444-0-8 (PDF)
Dépôt légal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2023


Copyright © Henri Lessard, 2021, 2023
Dépôt / SARTEC no 34490, le 21 mai 2021
CopyrightDepot.com no 00072064-1, 19 mai 2021



 

Une année julienne correspond à une révolution complète de la Terre autour du soleil, 365 jours et un quart, sans les accommodements des années bissextiles. Elle n’a d’utilité que pour les astronomes.

 

JULIANNE et JULIEN. Une jeune étudiante, inattentive et entêtée ; un jeune étudiant, attentif et indécis. (Ou l’inverse ?) Ces protagonistes font connaissance dans la première nouvelle du recueil, « Baignoire rose ».

Les autres nouvelles sont partagées entre Les dits de Julianne et Les dits de Julien. Nous comprenons d’emblée que la Vie, toujours attentive et constamment à son affaire, veillait à ne réserver aucun destin commun à ces deux jeunes gens au-delà de leur année julienne.

Julianne incline à fréquenter les plages hors-saison, même si la vue de la mer lui donne un vertige horizontal (des accès d’agoraphobie). Le travail, selon elle, sert à ne pas s’ennuyer au boulot.

Julien publie des annonces bidon dans un site de rencontre. L’origami et le lipogramme prennent avec lui des dimensions érotiques.

« L’accent circonflexe du verbe flâner m’avait toujours semblé viser quelque inaccessible septième ciel », dixit Julianne. Ou Julien ?

PERSÉPHONE et ses neuf vies regroupe sous son parapluie des nouvelles inspirées de destins variés. Ces textes nous apprennent tout ce qu’il faut savoir sur les lipogrammes, les transports solitaires ou en parallèle.

Note. – Des extraits à l’état préliminaire d’Une année julienne ont paru dans ce blogue à différentes dates. Ils ont été supprimés avec la publication de ce billet qui coïncide avec le dépôt du recueil à BANQ. Dans quelques-unes de ces primeurs, le personnage de Julianne portait le nom de Noëlle, en lien avec Grève des anges dont le recueil devait primitivement être la suite

 

Douze extraits

Un matin, l’étudiante de l’appartement voisin est venue m’emprunter du sucre. Elle est revenue l’après-midi pour une cuillère. Plus tard, en début de soirée, elle m’a demandé si je pouvais lui prêter un cure-dents. J’ai enfin compris et je l’ai invitée à entrer.

*

Au fond, nous étions du même avis. Nous traversons la réalité comme des bulles. Pour certains, c’est du champagne, pour d’autres de la bière ou une boisson gazeuse. Les plus infortunés se contentent d’une eau plate qu’ils traversent en solitaires. Mais qu’importe, nous finissons tous en émettant un imperceptible pop à la surface. (Pour la bière, attention, il y a bousculade au collet.)

*

La route 132 mène à Gaspé. A-t-on idée de prendre ses vacances à la fin du mois d’août ? Claudine tient le volant. L’océan dessine à l’horizon une ligne d’équerre parfaite, plus tendue, plus ténue que la plus fine corde d’un violon. Nul pour percevoir sa vibration secrète, nul pour se rendre compte qu’il s’agit du limbe d’une courbe basculant de l’autre côté jusqu’aux antipodes ? Effrayant !

Côté passager, le continent, et des collines comme le dos d’éléphants endormis qui, en se retournant, nous écraseraient.

*

On n’a qu’un dixième de seconde pour prendre la décision, celle qu’imposent les circonstances : laisser éclater sa colère et passer pour une détraquée ou garder son sang-froid en vue de préserver sa dignité. Quoi que l’on fasse, on regrettera son choix : « j’aurais don’ dû leur dire ma façon de penser » ou « j’aurais don’ dû conserver mon calme ». Inutile ; l’un et l’autre, c’est pareil, les dés sont pipés, la honte et les regrets vous poursuivront toute votre vie, tant que vous vous repasserez le film des événements : « J’aurais donc dû… »

Qu’importe ce que vous avez fait, vous auriez dû faire autrement. Faire et malfaire, c’est tout un, sachez-le.

*

Cétaient des noces dans les meilleures normes, coûteuses, bruyantes et clinquantes. La mariée et les demoiselles d’honneur, en robe bleu clair, froufroutaient jusqu’au décolleté. Véronique, la blonde Véronique, était restée la lumineuse créature de mes souvenirs. Elle s’était un peu arrondie en deux lustres ; je ne lui trouvais que davantage de plénitude et elle y gagnait en aisance. Le marié, guindé dans son smoking, gardait le menton droit comme pour permettre à son nœud papillon de respirer. Il avait le maintien vaguement martial de tous les mariés : je veux dire qu’il semblait aux ordres.

Et, partout, les sourires.

*

Quels périls, en effet ? J’ai toujours l’impression d’être hors destin sur une autoroute : que peut-il m’arriver pendant que je suis en mouvement ? Tous les problèmes nous rattrapent à l’arrêt, lorsque nous nous immobilisons ; les nomades connaissent cette vérité.

*

Il fait toujours morose dans une fenêtre qui donne sur une pièce vide, à croire que ces tristes miroirs translucides ne connaissent que des heures crépusculaires.

*

Élissa est libanaise. Elle perpétue sur son visage le regard intense que les portraits du Fayoum conservent figé dans l’encaustique depuis des siècles. Non pas le regard qui interroge, mais celui qui a compris et ne livre de ses découvertes que la stupeur qu’elles ont engendrée. Mais, ce jour-là, il s’agissait d’autre chose.

*

On ne conserve pas en mémoire les secondes qui précèdent une perte de conscience. Personne ne se souvient non plus, je l’appris ce jour-là, de celles qui précèdent la perte de conscience finale, la mort. Notre autobiographie mémorielle s’arrête donc au mieux un instant avant notre fin biologique. La source du Léthé coule dans notre monde, nous en buvons l’eau de notre vivant et non après le trépas, contrairement à ce que prétendent les philosophes.

*

Il y avait Agathe, Béatrice, Charles et moi.

Et il y avait, tapis sous la nuit sans limites, la forêt brossée par le vent, la plaine posée en biseau, le souffle froid des marécages et, tout près, du moins le pensions-nous, l’un des quatre coins de notre monde bosselé, là où le circuit du voyageur tâtonnant et trébuchant se termine dans le vide.

Mais le monde est un globe. Sur ce point, nous pouvions être rassurés, rien n’empêchait de le parcourir et de s’y perdre à jamais.

Le fait était que nous étions perdus.

*

Non ! ce n’est pas le moment. Mon autobus ne patientera pas sous prétexte que, tête renversée, yeux révulsés, bouche entrouverte, derme tout en frissons, chair tout en spasmes et perlant de l’intérieur d’une autre moiteur que celle de la douche – j’anticipe un peu sur la suite des événements –, je pose dans la glace en sainte Thérèse dépouillée de ses draps.

La beauté est un gaspillage. Toujours présente, et pourquoi ? Pour rien la plupart du temps. Si la nature était conséquente, les femmes ne connaîtraient que les caresses continuelles réclamées par leur beauté perpétuelle. (Je ne cesse pas d’être belle même en dormant, même dans le noir, non ? Gaspillage ! Gaspillage, vous dis-je !) Mais bon, le soleil dispense bien son rayonnement en pure perte dans l’espace.

*

Le plaisir est toujours égoïste…

— Sans devoir être nécessairement solitaire, non ?…

*

Nous avions confié nos frêles personnes au robuste châssis d’un autobus interurbain. Dix heures de route jusqu’à Sudbury où nous devions arriver le lendemain matin. Dix heures d’une course climatisée et indolore sur dix pneumatiques ; tout juste ce qu’il fallait de roulis et de tangage avec le ronron du moteur pour nous savoir en mouvement sur un point de notre trajectoire qui nous propulsait sur le bitume comme sans y toucher. La nuit tombait. Aucun repère dans l’obscurité extérieure ou intérieure, l’espace était aboli et le temps lui-même s’était assoupi.

samedi 20 mai 2023

Talents


Le talent est ce qui manque le moins de nos jours. Aucune ironie ici. Le nombre de gens qui savent jouer d'un instrument, chanter, danser, dessiner, peindre, écrire, etc. est incommensurable.



Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais... (Je ne vous aurais pas dérangés s'il n'y avait pas un « mais ».)

Force est bien de constater qu'avec ce réservoir de talents, nous produisons des Niagara de musiques prévisibles, d'interprétations vocales fortes en décibels que rien ne distingue les unes des autres, des tableaux qui ne retiennent pas l'intérêt, des BD ultra bien dessinées mais dont on se fiche, des textes... - n'en parlons pas, il vous est facile d'en juger par ceux des miens que vous avez sous les yeux.

C'est comme si l'humanité avait des capacités d'exécution hors de proportions avec ses capacités de création réelle. Plus de débouchés que de substance ; trop de moyens, peu de choses à dire. La multiplication des talents aboutit à la production en série de clones, à la diffusion de la banalité, à l'uniformisation des productions et des goûts.

Où est-il le temps où Marc Aurèle se félicitait de n'avoir aucun talent : ça l'aurait trop accaparé, disait-il. Restons ce que nous sommes : de banals auditeurs, spectateurs et lecteurs plutôt qus mauvais créateurs.

Le manque de talent, ultime refuge de la paresse ?