PAGE SÈCHE et ENCRE SYMPATHIQUE

Balourd 10, que ne rebute pas l'emploi de l'encre sympathique, n'entretient pas pour autant la phobie de la page blanche. (Une encre sympathique devient invisible en séch

mercredi 29 juillet 2020

Le Phénomène humain


J'ai repassé mes chemises ce matin. Je ne vous dis pas la satisfaction que j'ai retirée de cette activité. Le travail intellectuel est une imposture. Les humains s'illusionnent sur eux-mêmes dès qu'ils s'imaginent être autre chose que ce qu'ils sont, des singes habiles de leurs doigts.

mardi 21 juillet 2020

Rayons accueillants


— Je ne sais pas quoi lire.
— Mais tu as toute une bibliothèque chez toi.
— Tout le monde sait que les livres d'une bibliothèque ne sont pas là pour être lus, mais pour accueillir les nouveaux qui s'ajouteront.

Peintre du regard


« Aucun peintre n'a réussi à rendre la solitude résignée du regard des bêtes, car aucun ne semble avoir compris ce qui est incompatible dans les yeux des animaux : une immense tristesse et un égal manque de poésie. » 
Cioran, le Crépuscule des pensées

dimanche 19 juillet 2020

Luminaires ou Souvenir de jeunesse

Henri Lessard © CopyrightDepot.com no 00072068




(Extrait de Ligne de grains, roman à paraître aux Éditions L'Interligne.)

Il y avait Agathe, Béatrice, Charles et moi.

Et il y avait, tapis sous la nuit sans limites, la forêt brossée par le vent, la plaine posée en biseau, le souffle froid des marécages et, tout près, du moins le pensions-nous, l’un des quatre coins de notre monde bosselé, là où le circuit du voyageur tâtonnant et trébuchant se termine dans le vide.

Mais le monde est un globe. Sur ce point, nous pouvions être rassurés, rien n’empêchait de le parcourir et de s’y perdre à jamais.

Le fait était que nous étions perdus.

Un court périple, bouclé avant le crépuscule, avions-nous pensé.

Fallait-il prendre le chemin à gauche ou tourner à droite ? Plus loin, la même question se poserait, encore et encore.

La carte des chemins et des sentiers que nous avions prise au refuge ne nous servait à rien. La pleine lune, surgie de derrière les arbres, arrivait tout juste à extraire de ce carré de papier une tache laiteuse, aux contours flous.

Aucun de nous ne fumait. Nulle allumette donc, aucun briquet non plus.

— On campe ici jusqu’au lever du jour ? dit Charles.

Anticipant les heures frileuses qui nous séparaient de l’aube lointaine, Agathe m’entoura de ses bras :

— Il nous faudrait un réflecteur, une surface réfléchissante, comme en photographie, dit-elle d’une voix ténue, tandis que la lune se recroquevillait d’autant plus sur elle-même qu’elle s’élevait au-dessus de l’horizon.

Si nos visages étaient du même papier que la carte, nos couleurs – t-shirt rouge vin, gilet vert forêt, chemise indigo – disparaissaient sous la même couche d’encre de Chine.

— Je peux fournir la surface réfléchissante, dit Béatrice.

L’éclairage le plus pâlot suffit à certains constats. Béatrice avait enlevé son chandail et s’apprêtait à dégrafer son soutien-gorge.

Elle m’ôta la carte des mains et se campa au milieu du sentier. Là, dans la clarté lunaire – qui, tout à coup, parut couler d’abondance –, Béatrice orienta la feuille de façon à ce qu’elle reçoive à la fois le rayonnement de l’astre et son reflet réverbéré par sa poitrine – qu’elle avait ferme et rebondie.

En retour, le papier rendait la pareille au sein tout proche, et l’éclairait. Joli cercle vertueux…

— J’y vois un peu, dit Charles qui, s’étant placé à droite de Béatrice pour ne pas faire ombre, inclinait le cou pour lire la carte.

La pointe du sein – Agathe et moi avons pu le constater par-dessus l’épaule gauche de Béatrice – indiquait d’ailleurs la direction à prendre.

La lumière salvatrice sourdait de deux globes d’un albâtre translucide. De la taille jusqu’à la racine des cheveux, Béatrice, éclaboussée de blanc, resplendissait, nimbée d’une lueur fantomatique, et il était curieux que la personne la mieux visible de nous quatre soit aussi la plus irréelle.


*

Une demi-heure plus tard, cette ronde fourvoyée touchait à son terme et nous étions de retour au refuge.

— Objectivement, me dit Agathe, il faut avouer que je n’aurais pas pu rendre d’aussi bons services…

La survie de notre relation dépendait de ma présence d’esprit :

— L'éclairage public, répondis-je, c’est bien, c’est utile, mais je préfère les luminaires intimes, plus modestes, plus discrets, et la tendre lumière qu’ils dispensent.

La bonne part


Si l'on se fie aux réseaux sociaux, la moitié de la population est composée de bornés, de crétins et d'abrutis. L'autre moitié refuse de me parler.

Dit-elle


Les dits de ma voisine : Carpe diem

Le programme de la journée se résumait à peu de choses : partir du point A, me rendre au point C en passant par le point B. Arrivée en bout de course, rien ne m’obligeait à revenir tout de suite au point A. Rien non plus ne me contraignait à privilégier la ligne droite à l’aller comme au retour. J’étais en vacances, l’accent circonflexe du verbe flâner m’avait toujours semblé viser quelque inaccessible nirvana. Il n’y a que les forçats des loisirs pour se sentir redevables de chaque seconde de leur temps.

Carpe diem qu’ils disent, ces stakhavonistes de l’épicurisme. Au diable ! Je ne carpe rien du tout, trop fatiguant, je préfère laisser s’enfuir le temps ; il passe et s’échappe très bien sans nous. Qui donc aurait l’audace de prétendre être en position de le retenir ou de l’accélérer ? Laissons le temps couler, et même s’écouler, de lui-même. Moi, je me la coule douce.

jeudi 16 juillet 2020

Covid-19 : constat de la mi-juillet


Les chiens aboient, la caravane passe, l'été aussi, la Covid reste.

mercredi 15 juillet 2020

Palpation


Je préfère dire « c'est une histoire de fesses » plutôt que « c'est une histoire de cœur ». Les fesses, on est assuré de leur rondeur, de leur douceur. Les fesses sont palpables. Le cœur, non.

mercredi 8 juillet 2020

Dit-elle


Dit-elle, ou les dits de ma voisine : la Trop-Aimée


Tout le monde m’aime, je n’en peux plus.

J’ai d’abord cru avoir mal entendu. La plainte inverse, « personne ne m’aime », est de loin la plus fréquente, pour ne pas dire l’unique à fatiguer nos oreilles.

— C’est exaspérant, continua-t-elle dans un soupir. Je suis parfaite, du moins tout le monde le dit ou agit comme si c’était chose établie. On louange mon naturel, on n’en revient pas de ma politesse. Ma seule vue suffit à attendrir les matantes, l’annonce de ma venue fait fondre les mononcles. Je suis la consolation des profs épuisés par les mauvais élèves, mes parents ne m’adressent qu’un reproche tous les quatre ans ; ils savent pouvoir compter sur ma « grande maturité », je cite leurs paroles. Les gens simples me trouvent accessible, les gens sophistiqués, très raffinée. Les ignorants se sentent à l’aise de me parler, les personnes instruites me traitent en égale. Tous, bolés ou incultes, perdent leurs complexes devant moi. On me bombarde de confidences, on me demande mon avis, on me sollicite pour des conseils. L’humanité entière veut être mon ami, les enfants, les vieillards, les chats, les chiens et même la tortue de notre voisin. Qu’est-ce que je vais faire ?

— Apprendre à dire non aux gens, dis-je.

mardi 7 juillet 2020

Canicule


L'hiver veut notre peau. Il est animé d'intentions carrément homicides.

Il tue en saisissant ses victimes, en les solidifiant pour les réduire à une unité cristallisée, séchée à froid, ne conservant que l'os et l'écorce. Ces façons préservent au moins leur singularité jusque dans la mort. Pensez à la légère carcasse d'Ötzi.

L'été est plus indulgent, plus amène, du moins à première vue. Il accueille ses proies dans sa fournaise, les berce dans son atmosphère d'étuve. Par un excès de bonté, ou de chaleur, il les exsange de leurs forces, les répand bientôt en une flaque amorphe. Elle disparaissent, absorbées par le Grand Tout. Pensez à un ragoût homogénéisé.

Finalement, l'été, malgré ce que l'on croit volontiers, n'est pas mieux que l'hiver.


*

L'été, des gens disparaissent, engloutis par l'asphalte fondue des boulevards. Ne vous laissez pas prendre au piège, les lignes blanches ou jaunes, légères, flottent à la surface du bitume et lui donnent une apparence de solidité. Les corps graves, comme vous et moi, crèvent la croûte, passent à travers la masse en fusion et disparaissent. (Authentique.)