PAGE SÈCHE et ENCRE SYMPATHIQUE

Balourd 10, que ne rebute pas l'emploi de l'encre sympathique, n'entretient pas pour autant la phobie de la page blanche. (Une encre sympathique devient invisible en séch

jeudi 28 juillet 2022

Lectures d’été – Marc-Aurèle (1)


« [Untel] ne t’a point nui, car il n’a pas pu rendre ton moi pire qu’il n’était auparavant. » (Marc-Aurèle, philosophe et empereur romain – et vice versa, Pensées pour moi-même, VIII,22)


Billet paru le 28 juillet 2022 dans mon autre blogue, Propos hors propos.

Lectures d’été – Les caves du Vatican


Les avis des lecteurs sont parfois lapidaires. Un certain George Ranger a exprimé en peu de mots son opinion sur Les caves du Vatican, d’André Gide, à la page 128 de son exemplaire. Faut-il éviter d’inscrire son nom sur la page de garde des livres si l’on ne veut pas que la postérité s’empare de nos avis littéraires ?



M. Ranger a inscrit son nom au début du livre, avec la date de son acquisition, le 17/10/1972. J’ai trouvé l’exemplaire, passablement défraîchi, chez un bouquiniste en juin 2019 et je n’en ai commencé la lecture que maintenant. (Photo suivante.)





Billet paru le 28 juillet 2022 dans mon autre blogue, Propos hors propos.

mardi 19 juillet 2022

Une année julienne : origami amoureux

Nouvelle extraite de mon recueil Une année julienne suivi de Perséphone


ISBN 978-2-9821444-0-8 (PDF)

Dépôt légal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2023

Mon recueil Une année julienne suivi de Perséphone est paru en mai dernier en version numérique (pdf). Il est disponible auprès de l’auteur (moi) sur demande et de BAnQ (Bibliothèque et Archives nationales du Québec) au bout de ce lien. Relisez les autres billets consacrés au recueil pour en savoir plus et ou pour savourer d'autres extraits (lien).







Le recueil déposé à CopyrightDepot.com et à la SARTEC :
© Henri Lessard, CopyrightDepot.com no 00072068
© Copyright Henri Lessard, manuscrit déposé à la SARTEC le 21 mai 2021, certificat no 34490.

* * *

Origami amoureux

Note. – JULIEN, l’un des protagonistes principales du recueil avec JULIANNE, est le narrateur de la présente histoire.


L’écrivain Georges Simenon (1903-1989) s’est déjà vanté d’avoir « connu » 10 000 femmes. Pour en arriver à ce montant – trop carré pour n’avoir pas été arrondi, mais passons – il faut que peu d’entre elles, sinon aucune, n’ait voulu coucher avec lui une seconde fois.


Je te retiens à déjeuner ? On pourra faire connaissance…

L’humour, c’est comme le tir à l’arc : le risque est grand pour le tireur maladroit de rater la cible et de se pincer lui-même avec la corde.

Elle s’arrêta sur le seuil de la cuisine. Son t-shirt orangé, coupé deux tailles trop grandes, lui faisait une sorte de cloche informe. Comment interpréter son mutisme ? Elle baîlla. J’excluais les hypothèses les plus pessimistes : les gens de méchante humeur agissent avec moins de nonchalance. Le col du t-shirt avait bâillé (lui aussi) quand elle s’était penchée pour s’asseoir à la table. Tapi dans l’ombre teintée de safran, un sein avait pointé le museau comme pour humer l’air du dehors, hésitant à sauter le rebord pour apparaître au grand jour.

— Si tu ne me mets pas à la porte, dit-elle, je reste. Surtout si tu me sers le café.

Elle se tortilla sur sa chaise pour étirer le t-shirt sur ses cuisses, secoua la tête ; hier soir, alors qu’elle s’inclinait sur moi, ses lèvres avaient flotté, suspendues, comme le sourire d’une korè perdu dans la masse de cheveux blonds et roux qui lui masquaient le visage.

— Si tu t’en vas, je vais penser à toi et ça risque de devenir une obsession. Si tu restes, je devrais m’accommoder de ta présence…

— Je vais m’incruster pour que tu ne t’attaches pas, dit-elle. Il ne faudrait pas que tu prennes un mauvais pli avec moi.

Elle souffla sur son café, prit un croissant. Elle était gauchère, je ne le remarquais que maintenant. C’était donc ça. Je n’étais jamais passé entre les mains d’une gauchère. Les caresses, les gestes, n’étaient pas les mêmes. L’espèce d’étourdissement qui me tenait, le sentiment dissolvant qui ne me lâchait pas, ce petit pli au cœur – puisqu’il était question de pli – ce n’était que l’effet de la nouveauté, de la désorientation ?

Heureusement, certaines parties du corps humain sont uniques et ne sont pas affectées par le dilemme gauche-droite ; le sexe, par exemple, est exactement dans la pliure longitudinale du corps.

— Tu ne manges pas ? m’interrogea-t-elle à travers les volutes qui montaient de sa tasse de café maintenue à la hauteur de ses lèvres.

— Il y a toujours plus d’avant et d’après que de pendant…, dis-je.

Elle fronça les sourcils. Un exposé philosophique, à huit heures du matin ?

— Ça vaut pour le sexe et pour un tas d’autres choses, dis-je encore. L’attente, l’anticipation et la remémoration, qui entretient elle-même une nouvelle anticipation, prennent plus de place que l’acte même.

— Et présentement, nous sommes…

— Moi, je suis dans la remémoration et l’anticipation tout à la fois, ou peut-être l’espérance. Toi, je ne sais pas où tu en es.

Si le cœur et le sexe étaient alignés, une seule pliure en viendrait à bout. Au lieu, le cœur avait fait un petit pas de côté, et s’était mis à l’écart, à gauche. Résultat, j’avais deux plis distincts : un au cœur, un autre au sexe. C’était trop pour un seul homme, j’étais fait…,

Son sourire de la veille lui revenait ; sourire gourmand, tout à l’instant présent.

… j’étais fait, qu’elle reste ou qu’elle parte, les choses étaient pliées pour moi. Elle éplucha une orange ; ses doigts agiles (vive les gauchères !) découpaient l’écorce et séparaient les quartiers. Le vert de son vernis à ongles jurait avec la couleur du fruit et ce contraste me faisait venir un goût acidulé à la bouche. Elle aspira les quartiers un à un. Moi, j’aurais plutôt mordu dans ses lèvres.

Son pied nu frôla mes jambes, s’immisça entre mes cuisses, écarta les pans de ma robe de chambre, puis se retira.

— Tu bandes, dit-elle. Anticipation ou remémoration ?

Elle contourna la table pour venir s’asseoir sur mes genoux.

— Tu veux un quartier d’orange ?

Elle me fourra la moitié d’un quartier entre les lèvres. Le suc de la pulpe s’écoula sous la double morsure. Je fis passer son t-shirt par-dessus tête ; sa chevelure s’épanouit en désordre, soulevée par le passage du collet. Les filles ne sont complètes que toutes nues ; les vêtements les découpent en parties indépendantes, exposées ou cachées, et la nudité rétablit l’unité, tant pour les yeux que pour les mains.

— Une petite vite pour que Monsieur ait de quoi se remémorer ?…

Nous nous étions déjà beaucoup pliés l’un dans l’autre, la nuit passée. Une sorte d’origami amoureux dont la séquence de pliures et de dépliures était vieille comme le monde. Les bras autour de mon cou, elle se redressa ; ses lèvres flottaient dans la masse de cheveux qui lui masquaient le visage ; puis, elle replia les genoux pour permettre à mon sexe de pénétrer dans l’axe longitudinal de son corps.

*

De l’origami, amoureux ou pas, elle avait surtout retenu la recette des avions en papier, ou celle des petits bateaux qui s’en vont au fil de l’eau. Elle ne s’incrusta pas longtemps : elle s’éclipsa, sans revenir, peu après une ultime séance d’origami en duo. Elle était du genre à craindre de prendre un mauvais pli en restant trop longtemps avec le même gars. Comme tous les problèmes de couple proviennent non pas de la découverte, mais de l’accoutumance, jamais nous ne déchanterions ensemble.

Je conserve depuis un petit pincement, côté gauche, sur le pli du cœur. Et l’« après » s’allonge beaucoup trop quand il ne devient jamais un « avant ».

lundi 18 juillet 2022

My Cup Of Tea


Cest pas mon pichet, mon bock, ma chope de bière, ma coupe de vin, mon godet de gin, ma flûte de champagne, mon verre à boire, mon bol de café, mon cornet de frites, mon gobelet de lait, ma cuillère de sirop, mon thermo de Bovril, mon berlingot de crème, ma gourde, ma poire en cas de soif…

Bref, c’est pas ma tasse de thé.


Billet paru le 18 juillet 2022 dans mon autre blogue, Propos hors propos.

jeudi 14 juillet 2022

Constat


Finalement, cinq minutes de réflexion lucide n’apportent pas plus de lumière que vingt ans de ruminations moroses. Je le sais, j’ai essayé.


Billet paru le 14 juillet 2022 dans mon autre blogue, Propos hors propos.

Classiques classés


Cédric Pignat (@CcPignat) a publié le 12 juillet dernier dans Twitter une liste de classiques de la littérature en interchangeant titres et auteurs (image). Plusieurs twitteurs sont entrés dans la partie (outre les distraits qui n’y ont vu que du feu et les bien intentionnés qui lui ont signalé ses erreurs) et leurs propositions loufoques n’ont pas tardé à s’accumuler. Je reproduis ici les miennes (publiées sous le compte @HLessard7), augmentées de quelques entrées nouvelles. Le jeu n’a pas de fin, je compte bien revenir ici pour enrichir ma liste. (Tous les titres qui la composent sont authentiques.)

Vos propositions ?


Mes classiques


Le nez (Camus)

Les chants de Maldoror (Céline 1)

1. – Dion, évidemment.

L’adieu aux armes (Stéphane Mallarmé)

Le Robert (Alain)

Le Petit Larousse (Le Grand Robert)

Astérix le Gaulois (Jules César)

L’Odyssée (Lilly Ade)

Brisure à senestre (Sylvain Tesson)

La littérature à l’estomac (Ricardo Larrivée)

La transparence des choses (Uber Files)

Les Évangiles (collectif, sous la direction de Saint-Esprit)

451 Farenheit (Météo nationale française 2)

2. – Lors de la canicule de juillet 2022.

À l’ouest rien de nouveau, chez Actes Sud

Les écureuils de Central Park sont tristes le lundi (Pierre Ambroise François Choderlos de Laclos)

Critique de la raison pure (Emmanuel Kant 3)

3. – Qui d’autre aurait pu l’écrire ?

Le médecin malgré lui (Didier Raoult)

La guerre de Troie n’aura pas lieu (Vladimir Poutine)

Voyage au bout de la nuit (Homère 4)

4. – Y a une astuce.

Le sein (Uber 5)

5. – Y a une astuce.

Les travaileurs de la mer (Moby Dick)

Histoires extraordinaires et Nouvelles histoires extraordinaires (un complotiste)

L’Âne Culotte (Alain Juppé)

La disparition (Donald Trump 6)

6. – Hélas, non.

Le Petit Chose (quelqu’un, j’sais plus qui)

Les trois mousquetaires (La Bande des Quatre)

Trois contes (Les Trois Mousquetaires)


Billet paru le 14 juillet 2022 dans mon autre blogue, Propos hors propos.

lundi 4 juillet 2022

Tautologie



Attendre pour cesser d’attendre, c’est pas un peu tautologique ?


Billet paru le 4 juillet 2022 dans mon autre blogue, Propos hors propos.

Lectures d’été – Pessoa


Jai échangé avec une amie un Schopenhauer contre un Pessoa. Un désespéré tonifiant contre un désespéré qu’on a envie d’achever. Je me suis fait avoir.

Le livre de l’intranquilité de Pessoa : journal d’un gars à qui le fait de ne jamais penser au sexe permet d’entrevoir le vide de l’existence. Bon, je n’ai lu qu’une quarantaine de pages du tome III, le reste est peut-être différent.




Comme c’est un exemplaire emprunté, je n’ose pas griffonner au crayon dans les marges ou souligner des passages. Alors, j’ai découpé mes post-it en minces lamelles pour les multiplier et je crains quand même d’en manquer. Me donner tant de mal pour un auteur si aboulique… (Photo.)

Réflexion personnellle. – Tout texte est une parenthèse qui demande à être fermée sous peine de s’écouler en une poutine informe. D’où ma prédilection pour les auteurs concis et mon agacement devant les effuseurs qui se plaisent à méandrer jusqu’à la dernière goutte d’encre. Je ne nomme personne.

Malgré mes réserves et mon agacement, je trouve que Pessoa dit souvent des choses très justes, sinon intéressantes :

« La métaphysique m'a toujours paru être un prolongement de la folie latente. Si nous connaissions la vérité, nous la verrions, et le reste n'est que système et fioritures. Si nous y réfléchissons, il nous suffit de constater l'incompréhensibilité de l'univers ; vouloir le comprendre, c'est être moins qu'un homme, car être homme, c'est savoir qu'on ne peut comprendre l'univers. » (Pessoa, Le livre de l’intranquilité - tome III, p. 238.)

Ajout (9 juillet 2022)

Pessoa réalise l’illustration parfaite du solipsisme : « Je suis un ascète dans la religion de moi-même. » Il lui manque une fenêtre. Paradoxalement, il ne reste enfermé dans son petit moi que pour douter de son existence, réussissant l’exploit d’être un égocentrique sans égo. Les quelques mouvements lyriques qu’il s’autorise dans la description des paysages et de la lumière du ciel allument ici et là quelque espoir chez le lecteur. Autant de déceptions, l’horizon se rétrécit aussitôt à la mesure de Pessoa.

Pour ma part, je suis trop distrait, trop superficiel. Comparé à Pessoa, je suis un égocentrique peu conséquent qui s’amuse de tout ce qui passe devant mes yeux. Et comme moi, je ne passe pas et que je dure, il m’arrive de me trouver pénible au milieu du bariolage du monde.

Mais il faut être naïf pour lire les livres avec attention. Qui fait ça, sauf moi et quelques hurluberlus ?

Ajouts, suite à la lecture de l’édition intégrale de l’œuvre (14 mai 2023)

Quelques lignes tirées du Livre de l’intranquilité qui m’ont semblé illustrer mon point de vue. (Édition intégrale augmentée, même traductrice : Françoise Laye, même éditeur : Christian Bourgeois Éditeur, 1999).

Qui donc me sauvera d’exister ?
Je gis ma vie.
F.P. (1)

Autobiographie sans événements (2)

[…] et remarquons bien qu’il n’y a pas, chez Omar Khayyam, le moindre signe d’énergie, la moindre phrase d’amour (3).

[…] il monte de ces pages […] une impression désertique de monotonie (4).

1. Exergue au Livre de l’Intranquilité.
2. Sous-titre du Livre de l’Intranquilité.
3. Fragm. no 446, p. 454 : on pourrait en dire autant de Pessoa…
4. Fragm. no 442, p. 450 : Pessoa, à propos de son propre livre.


Billet paru le 4 juillet 2022 dans mon autre blogue, Propos hors propos.

samedi 2 juillet 2022

Amor ipsi


On parle souvent de la nécessité de s’aimer soi-même comme si c’était quelque chose qui devrait présider tout naturellement à nos vies. En fait, la vérité est que les gens ne s’aiment pas. Personne ne s’aime. L’instinct de conservation fait illusion ici. On tient à sa peau, sans grand amour pour soi-même. La vanité, qui n’est pas non plus de l’amour de soi, a mauvaise presse, à tort. Elle n’est que la sensibilité attentive aux variations (à la hausse ou à la baisse) de notre position sociale. 

Les enfants dans la cour de l’école le savent bien. Celui qui se laisse moquer signale qu’il peut être impunément ridiculisé et se retrouve au bas de la hiérarchie. Il faut donc casser la figure de celui qui se moque de nous (et qui se récrie à ces mots ne comprend rien à la nature humaine). L'individu maladroit, brusque ou désagréable ignore qu'il faut (se) masquer le jeu de ses instincts - qui, eux, jouent un jeu sérieux et ne blaguent pas.

« … l’injonction qui consiste à aimer autrui comme soi-même […] est trop contraire à la nature humaine pour être sincèrement obéie par le vulgaire, qui n’aimera jamais que soi, et ne convient nullement au sage, qui ne s’aime pas particulièrement soi-même. » Marguerite Yourcenar, Mémoires d’Hadrien, 1958, Gallimard, coll. « Folio », no 921, p. 240.

En cherchant au fond de soi, on trouve peu de raison de s’aimer. Il n’y a d’ailleurs aucun fond à la nature humaine ; comme la cible qui ne se laisse jamais toucher parce qu’il reste toujours une moitié du trajet à franchir avant de l’atteindre, notre fond est inaccessible – en plus d’être illusoire. Parce qu’il fait noir au fond de nous on imagine qu’on y verrait s’il y avait de la lumière ; la lumière s’épuiserait à atteindre les limites de ce vide. Mis à part nos instincts, réflexes, habiletés, que sommes-nous ? Les autres me donnent une impression convaincante de réalité ; pour moi-même, le scepticisme me semble de mise.

« L’homme parfait, chez les païens, était la perfection de l’homme tel qu’il est ; l’homme parfait des chrétiens, la perfection de l’homme tel qu’il n’est pas ; l’homme parfait des bouddhistes, la perfection d’un état où il n’y a pas d’homme. » Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquilité, trad. Françoise Laye, Christian Bourgeois éditeur, 1988, fragment no 134, p. 230.

L’amour de soi, devoir imposé à une humanité telle qu’elle ne sera jamais.