PAGE SÈCHE et ENCRE SYMPATHIQUE

Balourd 10, que ne rebute pas l'emploi de l'encre sympathique, n'entretient pas pour autant la phobie de la page blanche. (Une encre sympathique devient invisible en séch

vendredi 28 août 2015

Kétaine et autres âneries


Un ami Breton a employé dans une conversation un mot de chez lui qui m'a fait sursauter, «quéton». Le terme était utilisé dans sa jeunesse (années 1950) ; j’ignore s’il est encore usité. Quéton désignait une personne mal fichue prête à tomber dans la mendicité ou quelqu'un qui semblait rechercher du réconfort : «Qu'est-ce que t'as, t'é tout quéton aujourd'hui ?» J’ai évidemment rapproché ce terme du mot quêteux et je me suis demandé s'il n'y avait pas un lien avec le kétaine québécois dont l'étymologie n'a jamais été bien établie.

Kétaine, un mendiant breton ?

Selon Wikipedia, kétaine, entre autres hypothèses, dériverait de quêteux :

«[…] Andrée Champagne, comédienne, [affirme] que le mot aurait été une expression familiale dérivant de « quêteux » et visant les mendiants de ce quartier qui portaient des vêtements démodés et mal agencés. Selon ses dires, le mot se serait glissé dans une conversation avec Dominique Michel et Denise Filiatrault et c'est ainsi qu'il se serait retrouvé, quelques semaines plus tard, dans un des sketches de l'émission quotidienne des deux actrices.» Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/K%C3%A9taine

J'ai voulu en savoir plus avant d'affirmer quoi que ce soit et j'ai trouvé ceci dans Wikimanche :

«Quéton (fr. rég. et dial.), n. m., âne. [...] Mot caractéristique du nord [de la France] et du centre de la Manche. [Ce qui n'est pas exactement la Bretagne, je le concède.]
[…]
René Lepelley dit simplement : “sans doute du latin cauda « queue »”. Il faut s'entendre : d'une part, le mot quéton est formé non pas sur le latin cauda, mais bien sur le français queue (ou l'ancien français coe), avec un [t] de transition, exactement comme dans le verbe queuter « faire la queue ». D'autre part, de quelle queue s'agit-il ? Non pas de l'extension arrière de la colonne vertébrale, qui prend plus ou moins d'ampleur chez certains mammifères (celle de l'âne n'ayant rien de particulier), mais bien de l'organe reproducteur de l'animal, qui n'a cessé de frapper l'imagination des foules : ce n'est pas par hasard que Frédéric Dard écrivit en 1976 Si Queue-d'Âne m'était conté ! Le vit d'asne a d'ailleurs été un thème récurrent dans la littérature érotique dès le 15e siècle. En d'autres termes, quéton est formé de la même manière que queutard, avec le suffixe -on d'ânon, bourrichon, bidaillon, miron, etc. On pourra toujours expliquer pudiquement : « c'est parce qu'il remue souvent la queue ! ». Source : http://www.wikimanche.fr/Quéton

Outre les multiples variantes, il existe un féminin «quétone», plus près phonétiquement de notre kétaine.

Comme Quéton est aussi un nom de famille en France, on peut peut-être s'attarder à examiner cette autre hypothèse mentionnée aussi par Wikipedia :

«Selon les mémoires écrites (volume premier, page 44) de Télesphore-Damien Bouchard, maire de Saint-Hyacinthe de 1917 à 1930, « Quétenne » provient du surnom d'une des plus notoires familles du bas de la ville, les Martin dits Quétenne.» Source : Wikipedia, article cité.

Bref, si kétaine dérive du quéton du nord de la France et de la Bretagne, il ne provient pas du mot quêteux comme il semble tout naturel de le penser… On peut supposer que le quéton français a fini par désigner un âne (non plus le quadrupède, mais un pauvre bougre) avant de traverser l’Atlantique, comme patronyme ou terme péjoratif… (Dans l'hypothèse de Bouchard, Quétenne est un surnom, et non pas un patronyme régulier, il est vrai.)

Notre pauvre kétaine, loin de descendre d'un pauvre hère, aurait-il été à l'origine un âne d'outre Atlantique bien amanché ? (Si le jeu de mots est trop facile, la question est sérieuse.)

C’est de l’étymologie à la petite semaine que je pratique, aidé de Wikipedia (l'encyclopédie de ceux qui ne cherchent pas plus loin) et j’en suis tout à fait conscient. J'espère ne pas avoir défoncé trop de portes ouvertes (ni mérité le bonnet d’âne) !

NB. - Je m'aperçois en consultant le Larousse : noms et prénoms de France qu'il existe un patronyme normand, Queste («impôt»), qui connait plusieurs variantes, dont Quétin et (péjor.) Quétard. Il existe aussi des Quet : au nord de la France, ce nom représente l'ancien fr. quest, gain, profit. Le Larousse ne mentionne aucun Quéton.

Alors, quel chemin prendre pour devenir kétaine ?; Celui de Queste ou celui de queue ? Celui du percepteur d'impôt ou du pauvre âne ?