Version du 5 novembre 2012, débarrassée des coquilles et autres maladresses qui infestaient ce billet.
Aujourd'hui, virée à l'Antiquarian Book Fair d'Ottawa où un ami a attiré mon attention sur une carte de l'est de l'Amérique du Nord datée du XVIIIe siècle. La carte, quoique imprimée à Venise, était en français.
Étant peu intéressé à l'acquérir (1 500 $), je m'amuse (on s'amuse comme on peut) à vérifier la latitude et la longitude de l'emplacement sur le bord de l'Outaouais de « ma » ville, la future Gatineau (Lat. 45° 25' N, Long. 75° 45' W, comme tout bon Gatinois se doit de la savoir). Très vite, je me rends compte que, si la latitude semble bien exacte sur la vieille carte, la longitude, elle (58° W plus ou moins des fractions, je ne l'ai pas notée), est totalement fausse. L'erreur, énorme, frise les 18°.
Coucher de la lune au dessus de Gatineau, vu d'Ottawa. Aucun rapport avec le sujet, mais personne ne lit un billet s'il ne comporte pas d'image. Photo : 28 oct. 2011, 18 h 36 HAE.
Puis, la lumière se fait dans mon esprit : la longitude de cette carte réalisée dans les années 1700 a sans doute été calculée selon le méridien de Paris, et non celui de Greenwich, utilisé par les Anglais et qui n'allait accéder au statut de méridien d'origine universellement reconnu qu'en 1884.
Nous avons été victimes de la même erreur que Tintin et la capitaine Haddock dans Le Trésor de Rackham le Rouge !
Que c'est beau, la culture ! Ça permet de faire des liens entre des choses apparemment sans rapport. Ou des rapports entre des choses sans liens.
Pourtant, je ne tarde pas à réaliser que l'écart entre Paris et Greenwich n'est sans doute pas assez grand pour justifier un tel désaccord. (Après vérification : il n'est que de 2° 20' E.)
Affaire entendue, donc. Les longitudes, sur la carte, sont vraiment erronées. Même si l'on sait que le calcul de la longitude, contrairement à celui de la latitude, a longtemps été un casse-tête pour les cartographes et les explorateurs, une erreur de 18°, c'est beaucoup.
Reste cependant la possibilité que les auteurs de la carte aient utilisé un autre méridien d'origine :
« [...] l’atlas le Neptune français de 1693 référence jusqu’à 5 méridiens différents : outre celui de Paris et de Greenwich, sont indiqués le méridien du Cap Lézard, celui de Tenerife (selon une tradition remontant à Ptolémée) et celui de l’Isle de Fer, la plus à l’ouest des iles des Canaries, terre occidentale la plus lointaine connue à l’époque, permettant de compter positivement la longitude en Europe. » (Source : «Le ciel en question».)
AJOUT (quelques minutes après la mise en ligne du billet). – Vérifications faites, c'est sans doute le méridien de l'Isle de Fer (17° 40' W, soit tout près de 18° litigieux), la plus occidentale des îles Canaries, dans l'Atlantique, qui a servi à l'élaboration de la carte :
« Cette île a longtemps servi de point départ pour compter les longitudes, sans doute parce qu'on la considérait comme placée à l'extrémité du monde. Une ordonnance de Louis XIII rendue en 1634 y fît passer la premier méridien.
Ce méridien, adopté alors par une grande partie des États de l'Europe, n'est plus guère employé au XIXe siècle que par les Allemands. Depuis l'adoption du système décimal (1792), il a été remplacé en France par le méridien de Paris. » (Source.)
Si cela est vrai, le chevalier François de Hadoque qui commandait un vaisseau de la flotte de Louis XIV (Le Secret de la Licorne) n'aurait pas dû utiliser le méridien de Paris comme il est dit dans Le Trésor de Rackham le Rouge, mais celui de l'île de Fer.
Hergé s'est donc gourré.
Verdict que Wikipedia vient aussitôt confirmer :
«Dans Le Trésor de Rackham le Rouge, Tintin et ses amis, à bord du Sirius, retrouvent l'épave de La Licorne située à 20° 37' 42 de latitude nord et 70° 52' 15 de longitude ouest par rapport au méridien de Paris. Hergé a fait preuve de rigueur en choisissant des coordonnées vraisemblables mais il a commis une erreur : en 1698, ce n'était pas le méridien de Paris qui était utilisé mais le méridien de l'île de Fer.»
Il est vrai qu'Hergé ne disposait pas de Wikipedia... Pardonnons-lui cet anachronisme, son bilan est quand même largement positif.
Conclusion : passer ainsi (et avec quelle aisance, comme vous l’avez sans doute remarqué) d’une carte franco-vénitienne du XVIIIe siècle au Trésor de Rackham le Rouge (première moitié du XXe siècle) pour sauter du « problème des longitudes » à l’écart entre Greenwich et Paris, etc. : sont-ce là les fameuses compétences transversales dont on nous a tant parlé et qu’on n’a jamais penser m’enseigner ?
Question d’âge, comme la carte, je date.
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