PAGE SÈCHE et ENCRE SYMPATHIQUE

Balourd 10, que ne rebute pas l'emploi de l'encre sympathique, n'entretient pas pour autant la phobie de la page blanche. (Une encre sympathique devient invisible en séch

vendredi 28 août 2020

Covid-19 : terrains vagues et féondité


Curieusement, autant le confinement a été propice à l'écriture (j'ai rédigé un nouveau recueil de nouvelles en moins de six mois), autant il a représenté du temps perdu pour la lecture. Ma concentration a foutu le camp.

La lecture supporte mal d'être hachée par des moments d'absence mentale.

Par contre, de longues et fréquentes séances de rêvasseries devant l'écran ne nuisent pas vraiment à l'écriture. L'inspiration pousse peut-être dans ces moments vagues de l'esprit. (Terrains vagues de l'esprit ?)

jeudi 27 août 2020

La Petite Poucette de Michel Serres


Michel Serres a publié en 2012 Petite Poucette (1), ouvrage à la gloire de la fillette qui pitonnait son smartphone des deux pouces plus vite que son ombre. La Petite Poucette de M. Serres est l'égérie et la prophétesse du monde à venir.


« Que transmettre ? Le savoir ? Le voilà, partout sur la Toile, disponible, objectivé. Le transmettre à tous ? Désormais, tout le savoir est accessible à tous. Comment le transmettre ? Voilà, c’est fait. […] D’une certaine manière, il est toujours et partout déjà transmis. » (p. 21 (2). Le gras est de l'auteur du blogue.)

Bien oui, plus besoin d'enseigner, d'apprendre, inutile de se construire une vision du monde basée sur l'expérience accumulée par l'humanité puisque tout est au bout des doigts, pardon, du pouce. C'est la


« fin de l’ère des experts (p. 36-37) », et les dispositifs institutionnels de la transmission de la mémoire sociale (les « cavernes » prisons que furent les écoles et les universités (p. 39-40)) n’ont plus qu’à disparaître, enfin. » (Tout le paragraphe incluant les citations de M. Serres : Julien Gauthier (2).) 

L'ignorance n'existerait donc plus puisque le savoir est là, disponible à tous, suffit d'aller le chercher au besoin. Mais le chercher où, et pour répondre à quelle question, à quel besoin ? Et comment le reconnaître, comment s'assurer qu'on l'a trouvé ?

M. Serres, tout à son enthousiasme technophile, et tout philosophe qu'il est, ne semble pas s'inquiéter de ces questions, pourtant fondamentales. Qu'un savoir n'est pas une chose tangible et circonscrite, objectivée, que l'on prend sur une tablette pour l'y remettre après usage ne semble pas l'intéresser. Pour qu'un « savoir » soit utile, soit assimilé (mais pourquoi s'obstiner à assimiler ce qu'il est plus simple de laisser disponible à l'extérieur de soi ?), il faut un cadre conceptuel, d'autres savoirs qui l'accueillent, qui lui ont préparé sa place et qui lui donnent un sens.

Wikipedia et Google peuvent me dire la masse du proton, la hauteur de l'Everest et la date de naissance de Jules César. Si je n'ai aucune connaissance en physique, en géographie et en histoire, si j'ignore même que de telles « choses » existent, ces trois « savoirs » ne me serviront à rien. Ils s'évaporeront aussitôt « acquis ». Je ne saurai pas les interpréter, comprendre leur portée, ni même, encore plus préoccupant, penser à les demander ou à les chercher. Apparemment, cet autre inconvénient majeur de sa théorie a échappé à M. Serres, décidément peu sagace : pour chercher, il faut déjà savoir un peu et, pour trouver, il ne faut pas prendre la première crotte venue pour une pépite. Aussi, il ne pas faut s'imaginer que le savoir se débite en morceaux entiers se suffisant à eux-mêmes.

La Toile est pleine de savoirs que je ne pourrai jamais utiliser ou comprendre, faute de savoirs préalables... Triste sort que le mien, mais qui est celui de toute l'humanité, vous y compris. Notre capacité à acquérir, chercher et reconnaître le nouveau savoir dépend du savoir déjà assimilé, M. Serres oublie ce fait essentiel. 

Ajoutons que l'être humain a besoin d'une carte, d'une représentation cohérente du monde dans sa tête et que lui dire d'aller se promener dans une forêt de savoirs non balisés où il ne distinguerait pas le vrai du faux, le vénéneux du nutritif, est à la fois l'envoyer à sa perte comme individu et comme être humain.

Mais le rêve de Serres s'est réalisé. Sa Petite Poucette règne en maîtresse sur le monde. Elle fait ses recherches. Elle n'est cependant pas dénuée de tout savoir (malheureuses séquelles résiduelles du monde révolu, sans doute ?) : elle en sait assez pour chercher à tors et à travers, comprendre tout de travers et répandre son « savoir durement acquis » à travers la Toile aux bénéfices d'autres Petites Poucettes. Et d'autres Petits Poucets, la bêtise et l'ignorance ne connaissant ni sexe, ni frontières ni âge.

Je n'ai jamais compris l'accueil favorable dont a bénéficié le livre de M. Serres. La thèse de l'auteur est tellement ridicule (l'accès universel au savoir rend inutile l'apprentissage et l'enseignement) et inepte (les ignorants utiliseront mieux leurs facultés créatrices que les personnes à la tête encombrée de savoirs) qu'il faut suspecter la complaise et l'ignorance des chroniqueurs, toujours contents de chroniquer même à partir de rien. Il faut aussi compter avec le terrorisme des technologies, toujours innovantes et toujours plus efficaces, ça va de soi, sur l'esprit de mes contemporains.

(1) Michel Serres, Petite Poucette, Éditions Le Pommier, 2012, 90 pages.
(2) N'ayant plus le livre sous la main, j'ai emprunté les citations à Julien Gauthier, dans le site de la revue Skholè : http://skhole.fr/petite-poucette-la-douteuse-fable-de-michel-serres
L'analyse du livre de M. Serres par J. Gauthier est beaucoup plus fouillée que la mienne. (Ajout 3 avril 2024. - L'article de M. Gauthier n'est plus disponible dans Skholè. Il est cependant accessible à cette adresse : http://1libertaire.free.fr/PetitePoucette01.html.)

Montage : © Henri Lessard 2020.

Faites vos recherches


Montage : © Henri Lessard 2020
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Le sous-titre véritable enfin révélé.

mercredi 26 août 2020

Covid-19 : dur bilan d'août


Lorsque nous pensons à l'humanité, nous pensons à de Vinci, Einstein, Curie. Cette image flatteuse que nous nous faisons de nous-mêmes nous a empêché longtemps de voir la réalité.

En général, les humains sont ignares, crédules, intolérants et grégaires, le dernier point aggravant l'effet les précédents.

C'est l'un des avantages de la Covid et des médias sociaux que de nous avoir ouverts les yeux. Mais avions-nous besoin d'être désillusionnés à ce point ?

La raison d'être d'une société devrait être d'offrir un havre aux simples d'esprits, de contenir les ignares, les brutes et les enragés, je dirais même les enragées.

Sachant cela, quel jugement porter sur notre société ?

Quand j'étais jeune, il se trouvait des gens pour espérer que des extraterrestres viennent sauver l'humanité. Aujourd'hui, je me demande s'ils ne devraient pas venir nous achever.

Flaques



Flaque, version sereine...


J'aime les flaques d'eau.

Elles disent qu'il y a eu de la pluie. La pluie peut être prévue, mais non planifiée. La pluie nous apprend que toute l'eau n'a pas été harnachée en ce pays.

Les flaques signalent les trous dans le tissus urbains ; nids de poules, affaissements dans l'asphalte, creux dans les terrains vagues, ornières et sillons laissés par quelques pesants boas voyageant tout droit de conserve.

Le ciel y montre ses dessous. Les nuages sont plus gris, le ciel est d'un autre bleu, le soleil se double ou se multiplie en éclats et en étincelles.

Les jeunes eaux se rident à l'air qui passe. L'air, encore un qui n'est pas dompté...

Elles disent aussi que nous avons le temps de les contempler, ce qui reste un élément rassurant de la vie. Mais nous sommes trop âgés pour y patauger comme autrefois.

J'y trouve le repos comme devant toute surface plate que le vent effleure.



... ou flaque, version frileuse. Ah, quand le vent donne le frisson à l'eau...

vendredi 21 août 2020

Nature dormante

© Cristian de León 2013. Paix sur la Terre, gouache sur carton.
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Extrait d'une lettre à un ami peintre* qui m'a envoyé une gouache :

« À côté du concept de nature morte, reste-t-il de la place pour celui de nature apaisante ? Ta gouache pourrait en être le prototype. Ou de nature dormante ? Après tout, la majeure partie de la vie de couple consiste à dormir à côté de sa conjointe, il n’y aurait rien de mal à veiller la nature dans son sommeil. »

* Le peintre en question est Cristian de León.
https://artiste-peintredeleon.weebly.com/

jeudi 20 août 2020

Fierté et horticulture


Cette dame est fière de ses tomates comme si elle les avait pondues ; elle devrait l’être moins de ses ados qui, eux, sont vraiment sortis de ses mains.

mardi 4 août 2020

Débit et dépit



Photos : Cantley (Québec), montée Saint-Amour (juin 2008). Admirez avec quelle unanimité ces cumulus humilis dérivent tous à la même altitude.


La journée parfaite existe dans ma tête. Elle ruisselle de perfection sous un ciel tout bleu semé de cumulus tout blancs et tout dodus (photos). Chacune des secondes de chacune de ses minutes de chacune de ses heures se fond dans l’éternelle béatitude où le temps se dissout et cesse de nous importuner.

Je sais que la perfection n’existe pas dans la réalité, que ce serait trop exiger. La beauté, la plénitude après lesquelles nous courons ne sont que des créations de notre imagination. Ce ne sont que des illusions. Ce qui existe dans nos têtes n'est que fumée et ce qui existe au dehors n’est qu’imparfaitement appréhensible. D’où l’état d’insatisfaction chronique des humains.

Vous me direz que la perfection existe bel et bien dans la mesure où nous composons l’idéal à partir de moments de perfection saisis dans la réalité. Mais entre la perfection en pointillé et la perfection à flots continus, il y a une différence.

Une différence de débit, pour le moins. Pour notre plus grand dépit.