PAGE SÈCHE et ENCRE SYMPATHIQUE

Balourd 10, que ne rebute pas l'emploi de l'encre sympathique, n'entretient pas pour autant la phobie de la page blanche. (Une encre sympathique devient invisible en séch
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jeudi 8 mai 2025

Bon à se rappeler

 

La critique est Thésée, l'art est Minotaure.


dimanche 19 avril 2020

L’avis du Minotaure


Jai posé quelques questions au bœuf de mon voisin. Je voulais savoir ce qu’il pensait de nos femelles. Après tout, nous, les humains, nous ne sommes pas très tendres envers les vaches. Quand il s’agit d’élégance, nous pensons aux gazelles ; pour la beauté de leurs yeux, les biches remportent notre préférence. Nous nous permettons même de qualifier de vache une personne grossière au physique comme au moral. Je tenais à entendre un avis formulé depuis l’autre côté de la clôture (littéralement : le bœuf et moi étions séparés par celle qui délimite la propriété du voisin).

Voici ce que ce sympathique bovidé m’a répondu (je traduis ses propos) :


« Vraiment, vous, les humains, mâles ou femelles, qu’importe, vous êtes la risée de tous les autres animaux. De quoi avez-vous l’air à vous promener sur vos deux pattes de derrière ? Vraiment ! Et vos extrémités pleines de doigts et d'orteils : vous auriez mieux fait d’adopter les sabots, c’est plus solide. Et tout le reste : vos figures sans museau, vos fronts stupides, sans cornes ; le mince cou qui soutient votre tête ronde serait incapable de supporter le poids d’une cloche en métal. Le comble du ridicule est atteint par vos femelles (puisque c'est l'objet de votre question). À quoi leur sert de garder leurs mamelles hautes, pointées en avant comme des pare-chocs. Pourquoi ne les portent-elles pas plus bas, à la portée de vos petits. Voulez-vous qu’ils meurent d'inanition sitôt venus au monde ? Entre bovins, nous nous disons souvent que les humains sont les animaux les plus pitoyables de la ferme. Mais mon jugement est peut-être biaisé par la situation privilégiée que j’occupe. Après tout, les bovins occupent le sommet de l’Évolution. Il est donc juste que les humains se mettent entièrement à notre service, nous soignent, nous nourrissent, comme ils le font. Ils sont laids et humains (il voulait sans doute dire bêtes), mais utiles et dévoués. Sans doute qu’ils se rendent compte de leur infériorité et agissent en conséquence. »

(À propos de l'avis du Minotaure annoncé par le titre, voir ce billet du 17 mars dernier.)

lundi 23 mars 2020

Covid-19 : malheureux, le Minotaure ?


En cette période d’isolement, on se sent un peu comme le Minotaure au milieu de son labyrinthe : personne ne trouve le chemin pour nous joindre et nous-mêmes ne trouvons plus celui de la sortie.

Faut-il plaindre le Minotaure ? À trop chercher la lumière au bout du tunnel, on oublie celle qui brille au cœur du labyrinthe.

Voyez votre Minotaure, ou plutôt, imaginez-le dans son fauteuil, le profil révélé par l’éclairage tamisé de l’abat-jour ; à l’aide de quatre doigts, sans le concours du plus petit (le Minotaure est un être raffiné), il maintient suspendue en l’air une tasse de porcelaine d’où se déroulent les volutes d’une tisane odorante ; de l’autre, il garde ouvert sur ses genoux le volume qu’il se promettait depuis si longtemps de lire ou de relire.

Aucun bruit. Rien que le frottement des pages, un « slurp » de temps à autre (gorgée de tisane). Le cerveau n’a pas de gargouillis, ses digestions, ses assimilations, sont silencieuses.

Alors, malheureux, le Minotaure ?

(On peut remplacer la tisane par un autre liquide et la tasse par le contenant approprié.)


Henri Lessard, publié le 23 mars 2020 dans la page Facebook des Éditions L’Interligne (mon éditeur : Grève des anges : nouvelles, 2019).

mardi 17 mars 2020

La vie aux temps de la COVID-19


En ces temps d'isolement volontaire, on se sent un peu comme le Minotaure au milieu de son labyrinthe : personne ne trouve le chemin pour nous joindre et nous-mêmes ne trouvons plus celui de la sortie.

Version longue 

Isolation

Cette année-là, la période d’hibernation terminée, les gens se sont empressés de se claquemurer au lieu de courir se chauffer au soleil.

De rares piétons ne sortaient pas sans apporter un balai. Non pour œuvrer au ménage du printemps, mais pour tenir à bonne distance les autres assez audacieux pour se risquer dehors.

— On se sent un peu comme le Minotaure au milieu de son labyrinthe : personne ne trouve le chemin pour nous joindre et nous-mêmes ne trouvons plus celui de la sortie, m’a dit mon voisin de palier sur le seuil de sa porte et derrière son masque.

Une fois que je me fus assez éloigné, il pulvérisa du désinfectant dans l’air et sur les traces de mes pas.

Les parents s’enfermaient avec leurs enfants à domicile : j’appréhendais les cas de cannibalismes à venir, destinés à masquer ou à justifier d’inévitables infanticides.

Les malheureux qui n’habitaient pas avec leur partenaire dormaient seuls sous la couette.

Grâce au télétravail, les personnes en couple découvraient qu’elles ne s’étaient mutuellement supportées jusque-là que dans la mesure où le boulot, les activités et les amis leur évitaient de se côtoyer vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Les malheureux qui n’habitaient pas avec leur partenaire dormaient seuls sous la couette. Les sites de rencontres fermaient, ne servant plus à rien.

Les personnes qui avaient de l’âge se méfiaient de celles qui en avaient moins.

Pour me consoler, je pense à l’automne, à la lumière de l’automne. C’est beau l’automne et, assez souvent, tiède. Même chaud, parfois.