PAGE SÈCHE et ENCRE SYMPATHIQUE

Balourd 10, que ne rebute pas l'emploi de l'encre sympathique, n'entretient pas pour autant la phobie de la page blanche. (Une encre sympathique devient invisible en séch

jeudi 11 septembre 2025

Manuels ou Nostalgie 101


Elle ne s’encombrait jamais de ces manuels cartonnés et contondants, Initiation à la psychologie ou Management 101, pour lesquels bien des étudiantes entretiennent une affection maternelle au point de toujours les transporter dans leurs bras, serrés contre leur poitrine. (Henri Lessard, « Regards » dans Grève des anges, nouvelles, Ottawa, Les Éditions L’Interligne, 2019, Coll. « Vertiges », p. 46)

Jai publié ces lignes longtemps après les avoir rédigées. Déjà, au moment de les coucher sur papier, je n’étais plus sûr qu’elles seraient comprises. Croisent-on encore dans les couloirs des lieux de savoir de ces étudiantes encombrées de leurs manuels, lourds et contondants sous leur couverture cartonnée ?

Les étudiantes modernes préfèrent s’équiper de leur portable, si pratiques, si maniables, à rebours des antiques manuels. Les pages imprimées se sont dématérialisés. Pour moi, ce sont les étudiantes qui se sont dématérialisées – intouchables ! –, elles sont devenues un fantasme, ce qui est bien l’étape ultime de la dématérialisation : une image, une lumière, une promesse d’antan. Mais où sont les promesses d’aujourd’hui ?

Je ne fréquent plus les couloirs des collèges et des universités depuis belle lurette. Il y avait chez les étudiantes de ma jeunesse quelque chose de tendre et de maternel, de presque innocent, dans leur façon de tenir un ou deux exemplaires de ces manuels dans leurs bras croisés, appuyés sur un sein (le gauche de préférence, tout près du cœur). De sage et de prudent aussi, puisque cela dressait une barricade de carton matelassée de papier entre la porteuse et le monde. En même temps, le contraste entre les couvertures rigides et glacées et les douceurs tièdes dont elles défendaient l’accès me laissaient rêveur.

La saine distance qui s’établissait entre tout passe-muraille éventuel et la porteuse à l’abri derrière la palissade de savoir autorisait des échanges de regards candides. Tout commence par la candeur.

Mais le monde change et demeure. Moi, je vieillis et passe. Nous vieillissons tous, nous subissons vaille que vaille cette transformation qui mène à la disparition et non à la pérennisation. À moins d’être statufié. Mais après avoir parlé des couvertures de carton glacé, le goût me manque pour deviser sur le bronze froid des monuments.

Je n’ai plus l’âge de fréquenter les étudiantes. Elles se lèvent dans l’autobus pour me laisser leur siège, jamais plus elles ne se couchent pour me faire une place à leur côté.

Savoir inutile


Poussière sur la Terre, elle-même poussière dans l'univers, il m'arrive de parcourir en pensée le champ des étoiles et des galaxies. Les astres, les années-lumière s'accumulent par milliards et par milliards de milliards de milliards. Quand le souffle me manque, j'arrête ma course pour me pencher sur le double abîme du temps, celui du temps passé et celui des temps à venir.

La chenille patiente et le singe hurleur qui ignorent tout des trous noirs et du règne de Nabuchodonosor sont plus sages que moi, en tout cas plus heureux. Ils vivent sans réfléchir à l'infiniment petit et à l'infiniment grand ni soupçonner le vertige qui est le mien devant l'éternité.

Ils vivent dans un univers qui est le leur et qui est taillé à leur mesure. Que me donne d'avoir appris que je ne suis pas à l'échelle de l'univers et du temps ?