PAGE SÈCHE et ENCRE SYMPATHIQUE

Balourd 10, que ne rebute pas l'emploi de l'encre sympathique, n'entretient pas pour autant la phobie de la page blanche. (Une encre sympathique devient invisible en séch

vendredi 23 juin 2017

MétroFlirt


Une collègue m'a fait découvrir «MétroFlirt», chronique du Journal Métro de Montréal où il est possible d'adresser un message destiné à telle ou telle personne qu'on brûle de revoir pour l'avoir croisée dans le métro ou l'autobus.

«Quelqu'un a attiré votre regard ? Vous désirez la ou le revoir ? Écrivez-lui et consultez les messages sur journalmetro.com/flirt ou sur Twitter /metroflirt. Surveillez bien cet espace, on parle peut-être de vous !» Lien.

Non, mais, qui peut être assez fat pour vérifier si on parle de lui dans «MétroFlirt» ? Le résultat est que les appels restent sans écho, seules les personnes en état de désir y publient des missives, les personnes désirées, ignorant qu'elles le sont, ne pensent même pas vérifier la chose. D'ailleurs, le taux de réponse est pratiquement nul, la quasi totalité des messages sont ignorés, quelques rares récoltent des commentaires anodins.

Si le fond des messages est prévisible (tu es belle à couper le souffle, tu es éblouissante, comment t'inviter à venir prendre un café, etc.), la forme est caractérisée par un lyrisme échevelé, une syntaxe boiteuse et une orthographe catastrophique. La hâte et la nécessité d'être compris font que les clichés les plus éculés (cliché !) réapparaissent d'une missive à l'autre. Plusieurs hommes se croient obligés de parler de leur honnêteté et de leur empathie (on dit «bonne écoute»), ce qui produit l'inverse de l'effet recherché. Il est souvent question de regards captés, de sourires reçus. Il est inévitable que des regards se croisent dans les transports en commun, un sourire n'est souvent que politesse ou embarras. C'est assez pour déclencher des enthousiasmes à sens unique. Certains s'enflamment facilement. Le chemin qui mène au coït est pavé d'illusions et mène à bien des cul-de-sac.

Voulant m'inscrire dans ce genre littéraire nouveau pour moi, j'ai rédigé et publié quelques messages sur «MétroFlirt». Le défi était de rester «dans le ton». Je précise que je n'habite pas Montréal et que tout n'était que pure invention. Je ne m'attendais pas à recevoir de réponse. D'ailleurs, je n'en ai pas reçues. J'aurais été bien embêté d'y donner suite...

J'ai signé mes messages Balthazar Tableraze. Ce pseudonyme me semble plein de classe. Voici les versions originales de mes brûlantes missives, parfois un peu remaniées avant leur publication dans «MétroFlirt». Ils apparaissent ici dans l'ordre de leur rédaction (non de leur parution). Les numéros des autobus et leurs directions m'ont été proposés par ma collègue. Pour les textes inédits, les numéros sont peut-être encore arbitraires.

J'abandonne «MétroFlirt». Pour parler dans le vide, j'ai déjà mon blogue.

* * *

Hypocrite lectrice (cf. Baudelaire) du 24 Sherbrooke O de 6 h 45

Chaque matin, tu fais semblant de t'absorber dans la lecture d'un bête roman. Hypocrite beauté, derrière les persiennes de tes faux cils, tu es en réalité à l’affût des ravages que ton altière splendeur sème sur son passage. Entre tous les restes épars des pauvres êtres pulvérisés par l'attentat anatomique que perpétue ta présence parmi nous, n'as-tu pas remarqué à tes pieds pédicurés, et même manucurés, ce lambeau de chair qui palpite et s'agite dans ses derniers soubresauts : mon cœur.
Publié le 17 mai 2017.

Merveille de la ligne 10 N des matins de semaines

Tu t'assoies et je me dis c'est merveilleux, elle resplendit. Tu passes ta langue sur tes lèvres et je me dis tiens, c'est merveilleux, elle a une langue ! Ta main dans tes cheveux, comment avoir trouvé ça ? Tu respires, c'est merveilleux ; tu transformes l'oxygène en chaleur, ta poitrine se soulève, c'est merveilleux. Tu regardes par la fenêtre, quel ennui, penses-tu, quelle merveille ! que je pense. Merveilleux, tout chez toi est merveilleux, c’est merveilleux.
Publié le 11 mai 2017.

À la passagère du 55 N de 8 h 15

Je suis monté à bord de l'autobus. Tu souriais ; ton sourire ne s'adressait pas à moi, je n'en fus que la victime collatérale. Depuis, je ne dors plus, je ne mange plus, je ne rêve même plus ; au lieu, je pense à toi. Sur les parois de ma cervelle brûlée par ton irradiance, ton image s'est fixée. Tu montes en flammes dans la nuit solitaire de mon esprit. L'espoir de t'arracher un regard confine à l'utopie. Pourtant, un signe de toi et j'aurai le courage de me ressaisir. Alors, j'oserai t'aborder.
Ou peut-être pas.
PS. – Qui est le gars qui t'accompagne tous les jours et qui t'embrasse avant de descendre à la station X ? Ton frère ? Un ex ?
Publié le 3 mai 2017.

Atchoum !

Chère voisine de banquette de la ligne 80 Nord de 8 h 00,
Quand je pense à quel point je brûlerais de passion pour toi si tu n'étais pas celle que tu es, je me dis que d'occasions ratées qui ne se présentent même pas. Quel gâchis !
Signé : ton Anonyme inconnu.
Publié le 6 mai 2017.

Linguiste

Quel dictionnaire contient les mots qui me permettraient de te parler ? Quelle grammaire explique la syntaxe de ton cœur ?
Inédit (et le restera).

Obstacle (dans l’autobus X de 9 h 12)

Deux centimètres et quelques minces couches de vêtements séparaient nos épidermes. Debout dans l'autobus, tu t'es accrochée à la barre métallique ou mes mains venaient de laisser une pellicule de moiteur salée. Nos mollets se sont frôlés, j'ai presque plongé le nez dans ta chevelure. Pourquoi ta grosse sacoche s’est-elle interposée entre nous ?
Inédit (et le restera).

À celle qui est trop gaie (cf. Baudelaire*)

Tu souriais. J'ai cru être la cause ou le témoin d'un événement exceptionnel. Mais non, tu souriais, c’est tout. Depuis, j'ai remarqué que tu souris tout le temps, ce qui te donne un air insignifiant. J'espère que la lecture de ces mots te déprimera et que la pâleur du spleen te vaudra un charme que tu n’as pas. (Autobus 76 de 8 h 35, direction Est.)
Inédit (et le restera).
* Pour éviter tout malentendu : c'est le titre d'un poème de Baudelaire qui n'a rien à voir avec les questions d'orientation sexuelle.

Il y a péril à se pencher

J'étais debout dans l'allée de l'autobus, tu t'es penchée pour te lever de ta banquette. Par entrebâillement de ton collet, j'ai entrevu, tapi dans la pénombre que lui créait ton t-shirt, le bout de ton sein droit. Depuis je me demande si le gauche (celui du cœur) est aussi beau. Me laisseras-tu ainsi avec une image borgne de ta beauté ?
Inédit (et le restera).

Un petit effort s.v.p.

Certains jours, tu montes dans l’autobus, blonde, les lèvres très rouge ; d’autres fois, tu es une brune aux longs cheveux droits. Tes yeux sont bleus, ou verts, ou noirs. Exubérante ou préservant ton quant-à-soi, selon des caprices dont j’ignore la logique. Sur ta peau douce, la soie est papier sablé ; la brise est pataude et claudicante comparée à ta démarche. Ta voix…, ah, ta voix, qu’en dire qui ne soit insuffisant ?
Pour tous ces jours que je passe à t’inventer, tu pourrais au moins faire l’effort d’exister et de venir à moi !
Publié je ne sais plus quand.

À la passagère de l’autobus 55 Nord de 8 h 15

Mon horaire change et je prendrai désormais le 55 Nord de 7 h 45. Pourrons-nous poursuivre ce tête à tête muet que nous entretenons depuis maintenant 4 ans, huit mois et cinq jours ? Je lirai mon journal, tu consulteras ta tablette, comme d’habitude. Maints vieux couples s’épanouissent dans une routine semblable. Nous permettras-tu de fêter bientôt dans l’autobus, à notre manière discrète, nos noces de bois ?
Publié le 3 mai 2017.

À celle qui se reconnaîtra

Nous nous sommes vus, nous nous sommes reconnus, toi qui me cherchais depuis toujours, moi qui te cherchais depuis l’aube de moi-même. Sans la présence intimidante de la centaine de passagers de l’autobus no 54 de 15 h 18, direction centre-ville, quelles folies, quelles exubérances n’aurions-nous pas osé commettre ? Je rentre par l’autobus de 23 h 12, toujours vide de passagers.
À ce soir !
Inédit (et le restera). 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire