Dit-elle, ou les dits de ma voisine : Pensons pensements
Moi j'errais tout seul, promenant ma plaie. (Paul Verlaine, « Promenade sentimentale »)
─ Bonjour, dis-je au pharmacien, je voudrais un pensement...
─ Un pansement, vous voulez dire, Mademoiselle ?
(À cette étape du récit, il est inutile de s’étonner du fait que le pharmacien a compris, ou entendu, la nuance.)
─ Non, un pensement. Un pansement, c’est pour les atteintes physiques ; un pensement, pour les blessures de nature psychologique. Il me faudrait un pensement pour les pensées blessées.
─ ...
─ Je ne peux pas rester comme ça, avec une plaie morale ouverte exposée à la vue de tous, offerte à tous les microbes. J'ai besoin d'un pensement. Ne me dites pas qu'il ne vous en reste plus en stock !
─ Je crois, Mademoiselle, que vous avez surtout besoin d’aide.
─ C’est pour ça que je suis venue ici.
─ Ce que vous demandez, Mademoiselle, n’existe pas.
─ Comment ça ?
─ Les pensements, comme vous dites, n’existent pas.
─ Qu’est-ce qu’on attend pour les inventer ? Comment soignez-vous les blessures morales de vos patients ? Je ne vois pas grand monde dans la rue se promener avec une une psyché sanguinolente. Est-ce que les gens gardent leurs plaies cachées, dissimulées sous le manteau ? Ça expliquerait leur air déprimé en hiver. Mais nous sommes en été...
─ Non, Mademoiselle, les gens ne dissimulent pas leurs blessures morales. Ils se font une gloire de leurs souffrances, ils les brandissent comme des étendards et chacun parade pour sa propre cause.
─ Donc, vous ne pouvez rien pour moi ?
─ Sinon vous assurer de mes sentiments les meilleurs.
─ Bon, si vous pensez que c'est suffisant. Cette consultation ne nous nous aura finalement rien coûté, ni à vous ni à moi.